Antisionisme et antisémitisme : une tribune très problématique

Un texte paru dans Le Monde sur antisionisme et antisémitisme, portant notamment la signature de François Hollande et Bernard Cazeneuve, est un modèle de manipulation.

Denis Sieffert  • 26 mars 2025
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Antisionisme et antisémitisme : une tribune très problématique
Rassemblement devant l'hôtel de ville de Paris, le 19 juin 2024.
© ALAIN JOCARD / AFP

Un visuel antisémite, un rabbin molesté, une tribune raciste : que faire de tout ça ? Où chercher la lumière ? Peut-être ailleurs, à Istanbul et à Belgrade, où se joue le sort de la démocratie dans une terrible épreuve de force entre la rue et des autocrates. Des affrontements qui ont au moins le mérite de la clarté. Chez nous, la question de l’antiracisme baigne toujours dans une désolante confusion. Comment faire quand les camps sont retranchés dans la mauvaise foi ? Après la diffusion de la calamiteuse caricature d’Hanouna en « Juif Süss » (1), La France insoumise a fait « à peu près » ce qu’il fallait en retirant rapidement l’image délictueuse, mais trop d’amis ont qualifié l’affaire de « simple maladresse ». Et Jean-Luc Mélenchon, comme il en a la mauvaise habitude, a nié violemment l’évidence, hurlant au complot de l’extrême droite.

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Film antisémite parrainé par Joseph Gœbbels en 1940.

Des milliers de militants de LFI s’en trouvent éclaboussés, alors que la faute n’a été commise que par une poignée de responsables irresponsables. Immédiatement, des analystes à l’affût se sont empressés d’établir un lien entre l’affaire du visuel et l’agression d’un rabbin dans une rue d’Orléans. Il n’y a pas de sot profit ! Le lien qui s’impose, hélas, dans la tête tourmentée de l’agresseur, est plutôt avec les massacres qui ont repris à Gaza. Le jeune homme a-t-il cru venger les Palestiniens en se « payant » un Juif ? Juge-t-il que tout Juif est complice des crimes de Netanyahou ? Voilà bien la définition même de l’antisémitisme et du racisme. J’attaque un homme pour ce qu’il est, ignorant ce qu’il pense. Et quand bien même « penserait-il mal » !

Le sionisme a une double nature, contradictoire et conflictuelle.

Mais, signe des temps, le visuel Hanouna n’avait pas cessé de faire ses ravages qu’une tribune très problématique paraissait dans Le Monde, assimilant une nouvelle fois antisionisme et antisémitisme (2). On a l’habitude, mais les mots ici dépassent ce que l’on a toujours connu. Car ce texte n’est pas exempt de malhonnêtetés. Je n’en ferai pas ici l’exégèse. Deux exemples suffiront. Je lis que l’on « ne reproche plus aux Juifs de contrôler le monde, mais aux sionistes de vouloir contrôler des terres ». Ou l’art de passer d’une proposition antisémite, celle du Protocole des Sages de Sion, à une réalité politique incontestable.

Qui peut nier que les sionistes les plus extrémistes qui conduisent aujourd’hui la politique d’Israël veulent « contrôler des terres » ? Il faut beaucoup d’impudence et d’impudeur pour contester que le gouvernement de Netanyahou mette aujourd’hui les bouchées doubles pour expulser les Palestiniens de Cisjordanie, et entreprendre une vaste opération d’épuration ethnique à Gaza. Il faut beaucoup de racisme pour ne voir dans le sionisme historique qu’un « idéal d’émancipation » comme il est dit dans le texte, et ignorer ce qu’il fut pour les Palestiniens, d’expulsion et massacres. Le sionisme a une double nature, contradictoire et conflictuelle. Honte à ceux qui s’obstinent à ignorer le malheur palestinien, au moment même où l’on extermine à Gaza.

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Les auteurs du texte pratiquent un racisme par omission. De même, ils ne veulent pas entendre parler de génocide. Sont-ils certains que priver toute une population de nourriture et d’eau potable n’a pas une dimension génocidaire ? Enfin, ils se livrent à une incroyable mystification en brandissant comme un épouvantail le slogan « de la rivière à la mer », au moment où celui-ci est mis en œuvre par le gouvernement Netanyahou pour expulser les Palestiniens. Oui, le sionisme est un colonialisme… Après ça, les auteurs du texte peuvent affirmer avec désinvolture qu’ils sont partisans de deux États démocratiques. Ce qui est plus facile à proclamer quand la colonisation a rendu ce projet impraticable.

Peut-il y avoir une démocratie véritable dans un pays qui pratique le colonialisme ?

Tant de mépris pour les Palestiniens n’est certainement pas la meilleure façon de combattre l’antisémitisme. On s’interroge en lisant la longue liste des signataires, parmi lesquels Hollande, Cazeneuve, Valls : qui sont les manipulateurs d’ignorance ? Et combien sont les manipulés ? Cet aveuglement, réel ou feint, n’épargne pas non plus les manifestations en Israël. Il faut les soutenir bien sûr, parce qu’elles exigent la paix. Et parce qu’elles posent aussi, comme à Istanbul et à Belgrade, la question de la démocratie. Mais une moitié de démocratie qui, dans un pays encore meurtri par les attaques du 7-Octobre, oublie le peuple palestinien. Et qui ne se pose que de façon hésitante, une question décisive : peut-il y avoir une démocratie véritable dans un pays qui pratique le colonialisme ?

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