Bardella et Maréchal cajolés par Israël
Invités par Israël avec leurs homologues européens pour une conférence « contre l’antisémitisme » les deux figures de l’extrême droite seront en pays de connaissance.
dans l’hebdo N° 1854 Acheter ce numéro

© Thibaud MORITZ / AFP
L’invitation lancée par le gouvernement israélien à Jordan Bardella et Marion Maréchal pour une conférence contre l’antisémitisme, le 26 mars à Jérusalem, est lourde de significations. Plusieurs commentateurs ont vu là un pas de plus dans la voie de la « dédiabolisation » du Rassemblement national. C’est reconnaître au gouvernement raciste israélien le droit de décerner des brevets de vertu. Ce qui est extrêmement problématique. Précisons d’abord que c’est bien l’Israël officielle qui est la puissance invitante. Le président d’Israël, Isaac Herzog, patronne la manifestation, et Benyamin Netanyahou y prononcera le discours de clôture. La liste des invités a été établie par le ministre de la Diaspora, Amichaï Chikli. Moins en vue qu’Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, il ne vaut pas mieux. C’est un dur parmi les faucons, partisan de l’expulsion de tous les Gazaouis de l’enclave palestinienne.
Avec cet aréopage de racisme et de haine, Israël labellise ‘extrême droite’ la lutte contre l’antisémitisme.
Sans surprise, son casting fait la part belle à toutes les extrêmes droites européennes, allemande, néerlandaise, espagnole, hongroise, sans oublier le très trumpiste Matt Schlapp, et le fils de l’ex-président argentin Javier Bolsonaro. C’est le diable qui dédiabolise ! Avec cet aréopage de racisme et de haine, Israël labellise « extrême droite » la lutte contre l’antisémitisme. Un désastre ! La première réflexion qui devrait s’imposer concerne la nature du gouvernement actuel d’Israël qui bloque de nouveau l’aide humanitaire, prive deux millions de Palestiniens de l’électricité dont dépendent les purificateurs d’eau, et relance des bombardements qui ont tué quatre cents personnes dans la nuit 18 mars.
Qui pourrait encore contester la qualification de génocide ? Autant dire que Jordan Bardella et Marion Maréchal seront entre amis. Le martyre des Arabes palestiniens fait écho dans leur vision du monde à la haine du migrant arabe ou musulman chez nous, et à toute population issue du Maghreb. Il serait heureux que ceux qui parlent de dédiabolisation ici mettent leur connaissance d’Israël à jour. Mais cet épisode devrait nous inspirer une autre réflexion qui concerne plus directement la société française. La conférence de Jérusalem est un terrible aveu de manipulation de la lutte contre l’antisémitisme.
Quand le nécessaire combat contre ce fléau devient la grande affaire des pires racistes de la planète, le risque est que certains en viennent à s’interroger sur ce qu’on appelle encore « antisémitisme ». Il saute aux yeux que les « anti-antisémites » qui vont se retrouver à Jérusalem n’ont qu’une obsession : la liquidation par tous les moyens de la question palestinienne. Pour ce qu’elle représente au Proche-Orient, et pour ce qu’elle signifie chez nous, pour tous ceux qui sont hantés par la peur du grand remplacement. Bref, l’écrasement des Arabes.
Cette conférence est un échange de mauvais procédés entre canailles qui mènent à distance un combat commun.
On est impatient de lire sur le sujet la réaction du Crif et de quelques éminences de la communauté juive qui voient de l’antisémitisme dans toute critique d’Israël. Ceux qui, jusqu’ici, se sont tenus à distance des héritiers du pétainisme vont-ils applaudir l’initiative de Chikli, ou au contraire condamner cette conférence et oser critiquer Israël ? Choisir la deuxième option serait reconnaître enfin la dérive de ce pays. Un homme au moins a décidé de ne pas se rendre à Jérusalem, où il était attendu comme le messie : Bernard-Henri Lévy. La question est de savoir ce qu’il avait de plus à craindre dans ce voyage hasardeux : une photo au côté de Bardella ou avec Netanyahou ? Si BHL avait honte d’être vu en compagnie du premier ministre israélien, ça se saurait. Ajoutons que la Licra, qui fait partie de la sphère d’influence du Crif, a déjà manifesté son embarras.
Un mot enfin sur une récente chronique de Patrick Cohen sur le sujet qui nous occupe ici. À juste titre, le chroniqueur de la matinale de France Inter a jugé antisémite l’épouvantable visuel représentant Cyril Hanouna dans le cadre d’une campagne de LFI contre l’extrême droite. Plus douteux, est le chassé-croisé historique que Patrick Cohen a implicitement suggéré en guise de conclusion : d’un côté, LFI définitivement antisémite, et de l’autre, « Jordan Bardella à Jérusalem ». Comme si l’air frais des collines de la Ville sainte suffisait à purifier les âmes. La vérité est moins romantique. Cette conférence est, hélas, un échange de mauvais procédés entre canailles qui mènent à distance un combat commun. Il n’y a pas d’inversion ni de chassé-croisé, mais un pays, Israël, qui veut entraîner la diaspora juive française dans sa dérive.
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