Ukraine, Gaza : l’Europe face à son destin
Au vu de la tournure des évènements internationaux et de la nouvelle donne trumpiste, l’Europe doit repenser d’urgence son indépendance et se doter de principes universels.
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© HENRY NICHOLLS / AFP
Le « réveil de l’Europe ». Qui n’a pas entendu cette formule au lendemain du sommet de Londres, qui sortait d’ailleurs largement du périmètre européen ? Mais quel sens lui donner ? À peine quarante-huit heures après le conclave londonien, ses conclusions étaient déjà périmées. Comme il fallait s’y attendre, Donald Trump a mis sa menace à exécution. Toutes les aides américaines à l’Ukraine sont « suspendues ». Même celles que l’administration Biden avait décidées et qui étaient en partance pour Kyiv. Or les chefs d’État et de gouvernement présents à Londres avaient tenté de conjuguer deux discours. L’un s’engageant à (re)penser la défense européenne ; l’autre demandant tout de même à Trump de participer à la sécurisation des frontières ukrainiennes après un cessez-le-feu. Il saute aux yeux que nous étions là dans deux temporalités fort différentes.
La paix de Trump, c’est la paix de Poutine. Il n’y aura donc rien à sécuriser.
Combien de temps va prendre la construction d’une défense européenne, à supposer que les bonnes résolutions résistent à l’épreuve des intérêts nationaux ? Sans l’engagement de Trump, il n’y a d’ailleurs tout simplement pas de cessez-le-feu possible, parce que lui seul peut y amener Poutine, parce que lui seul accorde à Poutine tout ce que celui-ci exige. La paix de Trump, c’est la paix de Poutine. Il n’y aura donc rien à sécuriser. Aller en Ukraine dans ces conditions ressemblerait à s’y méprendre à cette cobelligérance que l’on a voulu éviter depuis l’agression russe de février 2022. L’impasse paraît totale, même si l’Europe racle les fonds de tiroir et qu’elle mobilise les avoirs russes gelés.
L’histoire ne se réécrit pas. L’Europe paye huit décennies de dépendance exclusive aux États-Unis. Seul de Gaulle, il faut bien le dire, avait évité le piège de la soumission éternelle. La France en tire aujourd’hui encore avantage. Mais c’est bien l’Europe qu’il faut penser, avec une défense commune et augmentée. Il y a à cet effort deux limites : qu’il ne se fasse pas aux dépens des budgets sociaux et des services publics, et qu’il n’aboutisse pas à enrichir l’industrie d’armement… américaine. En attendant, observons que Trump joue une nouvelle carte, pour emprunter à son vocabulaire trivial : il veut la tête de Zelensky.
Au fond, ce serait pour Poutine une autre façon de faire main basse sur l’Ukraine. Des élections entièrement truquées, à la mode biélorusse ou roumaine, et l’installation à Kyiv d’un pouvoir fantoche à sa botte. Cette hypothèse, qui n’est plus farfelue, se heurterait au choix de société des Ukrainiens. Retour, en quelque sorte, sur la place Maïdan, où tout a commencé. Ce qui nous ramène à l’essentiel. L’enjeu de la guerre de Poutine, ce sont des valeurs. Celles-là mêmes que J. D. Vance a exposées avec tant d’arrogance à la conférence de Munich. C’est une révolution ultraconservatrice que veulent imposer Trump et Poutine.
La solidité de l’Union passe par un socle social commun, et l’affirmation de principes universels de droits humains.
L’Europe, et plus généralement les démocraties, n’y répondront pas seulement par un supplément d’armes. L’Europe paye aussi de s’être construite sur les bases d’un marché. Dans son inculture crasse, Trump se trompe quand il affirme que l’Europe a été créée pour « entuber » l’Amérique. Celui que l’on appelle « le père fondateur » de l’Europe, Jean Monnet, banquier new-yorkais et négociant en spiritueux, était considéré par de Gaulle comme un « agent de Wall Street ». Son empreinte est restée. La solidité de l’Union passe au contraire par un socle social commun, et l’affirmation de principes universels de droits humains.
Comme pour nous dire un peu plus nettement encore qui il est, Trump a alloué 4 milliards de dollars supplémentaires à Israël pour renforcer son arsenal militaire déjà bien pourvu. Cela, au moment où ce pays vient de rompre l’accord signé avec le Hamas sous le parrainage des pays arabes, lequel prévoyait le retrait de l’armée israélienne en échange de la libération des otages. Et alors qu’il bloque toute aide humanitaire à Gaza. i du plus fort au profit d’un gouvernement d’extrême droite, ultraconservateur et raciste. Comme Poutine. Voilà le trait commun.
On aimerait entendre les grands démocrates de la réunion de Londres sur le sujet. Mais c’est un silence assourdissant. Le pire n’est jamais sûr, mais il se peut que l’Ukraine soit vaincue, et que l’épuration ethnique s’intensifie en Palestine. Après quoi, nous aurons la « paix ». Elle sera évidemment extrêmement précaire car les peuples ne disparaîtront pas pour autant. Accessoirement, cela devrait faire réfléchir à la relativité du concept de « paix » qui ne peut pas être un mantra que l’on ânonne à toutes les tribunes.
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