Un des réalisateurs de « No Other Land » attaqué par des colons, couverts par l’armée israélienne

Lundi 24 mars, dans le village de Susiya en Cisjordanie occupée, une vingtaine de colons ont attaqué des Palestiniens, avec la complicité de l’armée israélienne. Parmi eux, Hamdan Ballal, coréalisateur du film No Other Land, récemment oscarisé. Passé à tabac et emmené de force par l’armée, il a finalement été libéré ce mercredi 26 mars.

Louis Witter  • 26 mars 2025 abonné·es
Un des réalisateurs de « No Other Land » attaqué par des colons, couverts par l’armée israélienne
Hamdan Ballal, au centre, avec à sa droite Basel Adra, coréalisateur et un des personnages principaux du documentaire plusieurs fois primé.
© Louis Witter

L’appel à la prière qui marque la rupture du jeûne vient à peine de retentir ce lundi 24 mars dans le village de Susiya, au sud de la Cisjordanie occupée, quand un groupe d’une vingtaine de colons israéliens venu des alentours fait irruption. Masqués, armés de pierres et de bâtons, les colons s’en prennent violemment aux habitants et aux maisons. L’attaque est de courte durée, mais violente. Hamdan Ballal, coréalisateur palestinien du film No Other Land, est auprès de sa famille lorsqu’il entend des cris au-dehors.

La maison de son voisin est visée, il sort, pour filmer. Face au nombre d’assaillants, Hamdan a juste le temps de fermer la porte de chez lui. Shem Tov Luski, un colon bien connu des habitants et deux soldats fondent alors sur lui. Durant de longues minutes, les coups pleuvent, aux genoux, au cou. Un soldat lui assène des coups de crosse à l’aide son fusil, l’autre le menace, « je vais te tirer dans les jambes ! ». De l’intérieur de la maison, Lamia, sa femme, l’entend hurler. Des coups de feu sont tirés, en l’air, par l’un des soldats.

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À quelques kilomètres de là, à Tuwani, c’est l’alerte. Habitants et volontaires internationaux grimpent dans leurs voitures pour arriver au plus vite sur les lieux de l’attaque. Sur Whatsapp, les vidéos des faits arrivent petit à petit, filmées par des activistes de l’ONG américaine Center for Jewish Nonviolence. Sur l’une d’elles, enregistrée par la caméra embraquée de leur véhicule, on voit l’un des assaillants lancer une pierre droit sur le pare-brise, qui vole en éclats, avant que la caméra ne s’éteigne. Quand les secours arrivent, Hamdan est en sang, blessé à l’estomac et au cou. Mais alors que les soins lui sont prodigués dans l’ambulance, des militaires le sortent de force et l’embarquent ainsi deux autres palestiniens du village de Susiya.

« Attaqués les matins comme les soirs »

À minuit, sur les lieux, c’est la sidération. Si le calme est revenu, la tension demeure palpable. Autour d’un feu et d’un narguilé, habitants de Susiya et amis d’Hamdan s’interrogent, la mine grave. Où a-t-il été emmené ? Comment va-t-il ? « À cette heure, ni nous ni son avocat n’avons d’informations sur ce qu’il est advenu de Hamdan » dit Sami, les yeux rivés sur son téléphone dans l’attente de nouvelles. Dans l’obscurité, les silences sont longs, entrecoupés parfois des aboiements des chiens. À une vingtaine de mètres, la voiture des activistes est garée, les pneus crevés. Pare-brise et vitres latérales sont en morceaux. À l’intérieur, sur les sièges couverts de verre brisé, de grosses pierres témoignent de la violence de l’attaque.

Depuis que le documentaire de Hamdan a remporté l’Oscar, les attaques de colons sont de plus en plus nombreuses.

Kassim

Au réveil, les journalistes sont déjà nombreux sur place et défilent devant la porte de la maison d’Hamdan. Au sol, près des roches qui bordent le jardin, et les oliviers, une douille de fusil réfléchit la lumière du soleil. Ces derniers mois, les villages de la vallée de Massafer Yatta, depuis 1967 sous occupation militaire, sont la cible d’attaques répétées de colons et de l’armée israélienne. En 2022, après des années de bataille judiciaire et malgré la mobilisation des habitants, la Cour suprême israélienne a donné son aval à l’expulsion de huit d’entre eux, dans le but d’en faire une zone d’entraînement militaire.

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« Depuis que le documentaire de Hamdan, qui raconte le quotidien ici, a remporté l’Oscar, les attaques de colons sont de plus en plus nombreuses » témoigne Kassim, le neveu du réalisateur. Le jeune homme de vingt ans, qui vit également à Susiya, regrette de n’avoir pu intervenir, « nous sommes attaqués les matins comme les soirs et il arrive souvent que ce soit Shem Tov Luski qui donne des ordres aux militaires ». Sur une vidéo, filmée en août dernier, le colon s’en prenait déjà à Hamdan. Proférant des menaces de viol à l’encontre du réalisateur, on l’entendait également affirmer « cette terre est à moi, c’est Dieu qui me l’a donnée ».

« Parfois, il vient avec ses vaches ou ses chèvres sur nos terrains pour nous provoquer. Ça ne s’arrête jamais, c’est pour ça qu’il faut continuer à en parler et à montrer ce qui se passe. Pour dénoncer ces actes, la présence des activistes étrangers est donc vraiment importante pour nous » souligne Kassim. Opposés à la colonisation des territoires occupés par Israël depuis 1967, ils sont nombreux et nombreuses à venir chaque année du monde entier documenter les attaques des colons et les violations des droits des Palestiniens par Israël.

« Présence protectrice »

Anna et Josh sont tous deux arrivés durant l’assaut des colons et de l’armée. Elle a 34 ans et vient du Canada, lui 28 et vient des États-Unis. Membres du Center of Jewish Nonviolence, ils sont ce que l’on appelle ici une « présence protectrice ». Chaque jour, ils arpentent les chemins escarpés des villages de cette zone presque désertique du sud d’Hébron, aux portes du Néguev, avec les agriculteurs et bergers des villages alentour. Face aux attaques des colons israéliens, leur présence est parfois dissuasive et permet de documenter au quotidien les attaques physiques, les destructions de cultures ou encore les vols de bétail, de plus en plus nombreux dans la région.

Les soldats ont refusé de poursuivre les assaillants, alors qu’ils les ont vus nous attaquer.

Anna

Devant l’une des maisons du village où elle est restée dormir cette nuit, Anna se remémore les longues minutes de l’attaque de la veille. « Très vite, les colons s’en sont également pris à nous et à notre voiture » entame la militante en s’allumant une cigarette, « un activiste a été frappé au cou et au visage, l’autre a été battu avec un bâton. Les soldats ont refusé de poursuivre les assaillants, alors qu’ils les ont vus nous attaquer ».

Fin février, c’est l’armée qui était intervenue dans le village, arrêtant plusieurs Palestiniens et lundi dernier, une autre de ces attaques a eu lieu à Susiya. « Comme toujours, Shem Tov Luski agit comme s’il avait le pouvoir sur les militaires. Hier par exemple, c’est lui qui a pointé du doigt Hamdan et dit aux soldats qu’il avait jeté des pierres. C’est pour cela qu’il a été arrêté », continue Josh.

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« C’est particulièrement violent, car les colons ne sont jamais inquiétés alors que nous avons des tonnes de vidéos qui prouvent que ce sont eux qui viennent agresser les Palestiniens du village. La différence, c’est que les premiers sont soumis à la législation civile israélienne alors que les seconds sont soumis aux lois militaires depuis l’occupation ». Anna conclut : « C’est important d’être aux côtés de ces familles attaquées chaque jour au nom de ma religion et de mon peuple. Et de lutter avec eux contre toute cette violence. »

Au-dessus des têtes, dans le ciel bleu de la vallée de Massafer Yatta, le ballet incessant des avions de chasse israéliens ne faiblit pas. À soixante kilomètres de là, la bande de Gaza continue d’être sous le feu de l’aviation et de l’artillerie depuis la rupture le 18 mars dernier du cessez-le-feu par Israël. Aux alentours de seize heures, Nasser Nawajah, habitant de Susiya et activiste de B’Tselem, ONG israélienne, reçoit un coup de téléphone.

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Sur le pas de la porte de Hamdan Ballal, son visage s’illumine et un sourire y apparaît : « Hamdan est libre ! ». Emmené d’abord à l’hôpital pour constater ses blessures, il en ressort avec de nombreuses ecchymoses sur tout le corps, des écorchures au niveau de l’œil et une coupure au menton. Pour les habitants et pour ses proches, c’est un soulagement. « On ne sait jamais quand les personnes sortent » témoigne Kassim, son neveu, « il aurait pu y rester une journée comme trois jours ou trois mois ».

Hamdan Ballal retrouve les siens, après une nuit d’enfer. (Photo : Louis Witter.)

À son arrivée à Susiya, un comité d’accueil attend Hamdan sur le terrain de jeux pour enfants du village. Ses collègues déjà, Basel Adra, Yuval Abraham et Rachel Szor, les deux autres coréalisateurs et la coréalisatrice du documentaire No Other Land, primé notamment aux Oscars et à la Berlinale cette année. Mais également ses proches, les membres de sa famille et ses amis des villages de Massafer Yatta.

« La bouche pleine de sang »

Les traits tirés et visiblement fatigué, Hamdan prend la parole devant une vingtaine de journalistes de la presse locale et internationale. Sa nuit a été un enfer. « Emmené sur une base militaire la bouche pleine de sang, j’ai eu les yeux bandés et les mains attachées toute la nuit. À chaque fois que je tentais de changer de position, un militaire me frappait avec un bâton pour que je m’asseye comme eux le voulaient. Ils passaient leur temps à rire, à se moquer de moi. » À sa sortie du poste de police de la colonie de Kiryat Arba, Hamdan signe un papier, dans lequel il s’engage à ne pas avoir, durant un certain temps, « d’interaction » avec Shem Tov Luski. Ni de l’approcher, ni de lui parler.

Il y a de véritables menaces sur nos vies après l’Oscar que nous avons remporté.

H. Ballal

À un journaliste qui l’interroge sur la mise en lumière de ces agressions à la suite du succès du film No Other Land, Hamdan Ballal répond, « c’est la première fois que je subis une attaque de cette ampleur, même si je sais qu’elles sont quotidiennes. Je sais également que désormais, il y a de véritables menaces sur nos vies après l’Oscar que nous avons remporté. J’espère que ce qui est arrivé servira à montrer que l’armée d’occupation couvre ces attaques ».

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Mais l’Académie américaine, qui a décerné le prix du meilleur documentaire à Hamdan et ses trois coréalisateurs il y a quelques semaines seulement, a refusé de prendre position en faveur du cinéaste, considérant que son agression était sans rapport avec le film. Pour Yuval Abraham, qui s’est exprimé après ce refus, « si Hamdan était clairement visé pour avoir réalisé No Other Land, il l’était aussi parce qu’il est Palestinien, comme tant d’autres qui sont quotidiennement méprisés ».

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Temps de lecture : 9 minutes