Manifestation antifasciste à Lorient : « La meilleure défense, c’est l’attaque »

Face à la montée de l’extrême droite en Bretagne, près de 2 000 manifestants ont défilé à Lorient ce dimanche 2 mars. Une mobilisation d’ampleur pour réaffirmer une opposition antifasciste, alors que des groupuscules radicaux gagnent du terrain dans la région. Entre détermination et tensions, la riposte s’organise.

Maxime Sirvins  • 3 mars 2025 abonné·es
Manifestation antifasciste à Lorient : « La meilleure défense, c’est l’attaque »
Le cortège dans les rues de Lorient, le 2 mars 2025.
© Maxime Sirvins

« Bretagne ! Bretagne ! Antifa ! » Sous un ciel ensoleillé, une foule compacte avance dans les rues de Lorient. Près de 2 000 personnes ont répondu à l’appel de plusieurs dizaines d’associations, syndicats et collectifs pour manifester contre l’extrême droite, ce dimanche 2 mars. Bandes-son antifascistes, fumigènes et slogans résonnent contre les murs du centre-ville. « Pas de fachos dans nos quartiers, pas de quartier pour les fachos ! », lance le cortège de tête, alors qu’une banderole déployée en tête de manifestation donne le ton : « La meilleure défense, c’est l’attaque ».

Un contexte de tensions

Cette forte mobilisation prend place dans un contexte particulier. Lorient, longtemps perçue comme une ville peu perméable aux idées d’extrême droite, subit une implantation croissante de plusieurs groupuscules radicaux. La montée en puissance du RN, arrivé en tête dans la cité morbihannaise lors des élections européennes de 2024, montre ce revirement dans une région historiquement à gauche.

Dans ce contexte de dédiabolisation, des groupuscules nationalistes comme « La Digue » ou la « Brigade nationaliste » ont émergé, multipliant les actions, provocations et les intimidations. « Ce sont des militants qui se sont radicalisés dans leurs pratiques au fil des années, avant, ils étaient à l’UNI (1) et Reconquête, maintenant, ils sont à La Digue », explique Camille*, présente dans le cortège.

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L’Union nationale inter-universitaire, syndicat étudiant d’extrême droite.

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Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

(Toutes photos du reportage : Maxime Sirvins.)

« En janvier 2024, le syndicat d’étudiants Union pirate a aussi été visé », explique Romain*, membre du Collectif antifasciste Lorient et Environs, la CALE. En janvier 2024, des affiches « Comment déglinguons-nous l’Union pirate ? Scannez le QR code ci-dessous et constatez ! » ont été collées sur le campus de l’Université Bretagne Sud (UBS). Le QR code en question dirigeait vers une vidéo montrant un homme en train de tirer sur une affiche du syndicat.

Des attaques qui s’intensifient à Lorient

Des militants d’extrême droite sont apparus dans les universités, notamment via des associations étudiantes se réclamant du nationalisme identitaire. « On voit des tentatives d’implantation partout, même sur les campus où l’UNI ou La Cocarde essaient de normaliser leurs idées», explique Étienne*, étudiant à l’UBS. Dès 2022, la Cocarde, à travers sa branche lycéenne, avait fait parler d’elle en distribuant des tracts parlant d’un soi-disant « délire LGBTQI+ ».

C’est une montée progressive, mais inquiétante.

Loïc

Les tentatives d’expansions de ces groupes ne se limitent pas aux cercles étudiants. « C’est une montée progressive, mais inquiétante », témoigne Loïc*, militant syndicaliste. Dans plusieurs quartiers de la ville, des tags ou des autocollants aux slogans identitaires sont régulièrement placardés. « Mais cela ne tient jamais longtemps », rétorque un militant antifasciste.

En juillet 2023, durant les révoltes suites à la mort de Nahel Merzouk, des militants nationalistes ont pris part à des expéditions punitives, frappant des manifestants et menant des arrestations arbitraires dans le centre-ville. Parmi eux, les autorités ont identifié des militaires, ce qui a conduit le ministère des Armées à ouvrir une enquête, rapidement classée sans suite.

Ils essayent de se montrer de plus en plus, mais on les chasse toujours.

Les cibles de ces violences sont aussi multiples : en avril 2024, une mosquée en construction a été taguée. Quelques mois plus tôt, à cent kilomètres, une autre mosquée faisait l’objet d’une tentative d’incendie à Saint-Martin-des-Champs. Fin 2024, toujours à Lorient, c’est un évènement des Soulèvements de la Terre qui échappe de peu à une attaque, par quatre militants d’extrême droite. « Il y a aussi de plus en plus d’informations personnelles de camarades qui sont publiées en ligne par ces groupes, rappelle un militant antifasciste de la ville. Ils essayent de se montrer de plus en plus, mais on les chasse toujours. »

Une manifestation comme acte de résistance

Dans ce climat tendu, la manifestation de Lorient se veut un acte de résistance. « On ne peut pas laisser la Bretagne devenir un terreau pour ces idées mortifères », explique une jeune militante lorientaise. Le cortège, coloré et déterminé, avance sous bonne garde. Les forces de l’ordre se présentent à chaque intersection. « Cassez-vous ! », rétorque à chaque fois la troupe. Certains manifestants sont venus de Rennes et d’autres villes voisines.

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La marche se veut « régionale » comme celle de l’an dernier à Saint-Brieuc, même si ce n’était pas le plan de base. « Plutôt que de réagir avec un rassemblement spontané après l’attaque des Soulèvements de la Terre et de l’accumulation des actions des fachos, on a fait le choix, avec les autres organisations, de construire une grosse mobilisation », précise Romain*, de la CALE.

Le cortège de tête et ses banderoles lors de la manifestation du 2 mars 2025 à Lorient.
Le cortège de tête et ses banderoles.

« Face à l’extrême droite, la riposte doit être collective », lance une syndicaliste. Plusieurs banderoles affichent des messages clairs : « Bretagne antifasciste », « Pas de répit pour les fachos », « Fascistes, racistes, sexistes : hors de Bretagne ». Dans les ruelles, les manifestants avancent avec une détermination palpable alors que les slogans résonnent en écho contre les façades des immeubles. À l’arrière, un cortège syndical s’est formé ou les drapeaux se mélangent.

À gauche ?

Pas de répit pour les fachos !

Mais en fin de manifestation, des tensions éclatent. Des manifestants brisent les vitrines d’agences d’intérim et celles du local du PS. Les CRS bloquent la rue et le cortège fait bloc. Un mortier contre une grenade lacrymogène et la marche reprend. Un peu plus loin, à cent mètres de la fin, un cordon de CRS bloque de nouveau la route. Après plusieurs minutes de face-à-face tendu, le gradé s’adresse à l’organisation. Il explique de prendre une autre ruelle à gauche, modifiant ainsi le parcours à la dernière minute. Sous la protection des banderoles, la troupe s’exécute et s’y engage calmement.

Charge de CRS lors de la manifestation antifasciste  à Lorient, le 2 mars 2025.
Charge de CRS lors de la manifestation antifasciste à Lorient, le 2 mars 2025.

Dans l’incompréhension totale, une dizaine de CRS chargent d’un coup à l’aide de grenades lacrymogènes et de désencerclement. Leur trophée ? Une banderole. Juste après, alors que le cortège reprend ses esprits, le commissaire hurle de prendre à gauche, de nouveau. « On était en train d’y aller tranquillement dans ta ruelle ! On ne va pas se faire avoir deux fois », lui rétorquent des manifestants. Demi-tour général et retour au point de départ. Rapidement, les militants se dispersent et la manifestation se termine sans avoir atteint son point de chute.

Les fachos sont une dizaine, on est des milliers ! 

Durant la journée, les forces de l’ordre ont interpellé plusieurs personnes. Pour avoir un petit couteau Opinel sur lui, un manifestant, interpellé préventivement, devra se présenter devant la justice en 2026. Amer, un autre se rassure : « On n’a même pas pu marcher jusqu’au bout, mais on était beaucoup plus que prévu et ça fait chaud au cœur ! Les fachos sont une dizaine, on est des milliers ! »

À Lorient, la lutte ne fait que commencer

Au-delà de cette journée, la lutte antifasciste à Lorient s’organise sur le long terme. Des collectifs annoncent d’ores et déjà des réunions et des actions à venir. Certains prévoient de renforcer la présence militante sur les campus. D’autres veulent travailler à une meilleure coordination régionale pour répondre à la montée de l’extrême droite. « Il ne suffit pas de manifester une fois, il faut s’organiser et être visibles au quotidien », martèle Marion*, militante d’un groupe antifasciste local.

Pour beaucoup, la manifestation de Lorient n’est qu’une étape dans un combat plus large. La Bretagne, bastion historique de la gauche et des luttes sociales, refuse de céder du terrain aux idéologies nationalistes. Et si l’extrême droite tente de s’implanter, la riposte, elle, est bien décidée à s’intensifier. « On se reverra bientôt », lâche un manifestant, avant de disparaître dans la foule qui se dissipe.

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