Port du voile dans le sport : François Bayrou prend le parti de ses ministres les plus droitiers
En donnant le point au trio Darmanin-Retailleau-Bergé sur la question au cours d’une réunion convoquée en urgence, le premier ministre alimente la rhétorique islamophobe en vogue.

© Thomas SAMSON / AFP
François Bayrou a convoqué en urgence mardi 18 mars plusieurs de ses ministres, dont Bruno Retailleau (Intérieur), Gérald Darmanin (Justice), Élisabeth Borne (Éducation nationale), Marie Barsacq (Sports) et Aurore Bergé (Égalité hommes femmes). L’objet de cette réunion ? Ni le budget ou le déficit abyssal de la nation, le scandale Bétharram qui affaiblit le premier ministre ou encore la « menace russe » agitée par Emmanuel Macron, son gouvernement et toute la Macronie ?
Non, cette réunion se tenait pour faire une « mise au point », selon l’entourage de François Bayrou, sur l’interdiction du port du voile dans les compétitions sportives. En effet, plusieurs fédérations sportives, comme celle du basket et du football, ont déjà banni le port de tenues religieuses de leurs compétitions et l’indiquent dans leur règlement intérieur. Mais ce n’est en rien une obligation légale. D’ailleurs, ces dispositions vont à l’encontre du droit international et sont discriminantes pour de nombreuses femmes musulmanes, selon un rapport d’Amnesty International, publié avant les Jeux olympiques de Paris.
Gérald Darmanin avait agité la menace d’une démission si le gouvernement revenait sur la proposition de loi adoptée du sénateur Michel Savin (Les Républicains) par le Sénat au cours de houleux débats le 18 janvier dernier, visant à généraliser l’interdiction du port du voile dans le sport. « La solidarité gouvernementale doit être préservée, s’est agacé le premier ministre, selon nos informations. Si l’un d’entre vous a un problème, il peut démissionner », a ajouté celui qui est aussi le maire de Pau.
Pour quel résultat ? « La composition du gouvernement reste inchangée pour l’instant comme vous pouvez le constater », ironise une source ministérielle. L’entourage du bouillant ministre de la Justice fait d’ailleurs baisser la tension : « Le premier ministre a rappelé que le port du voile n’était pas autorisé dans les compétitions sportives. Il n’y a donc pas de sujet », balaye un proche. D’ailleurs, Gérald Darmanin n’aurait jamais eu l’intention de démissionner, « il ne faisait que répondre à la question d’un journaliste sur la position du gouvernement en matière de religion dans le sport », assure notre source, avec un brin de mauvaise foi.
C’est encore une polémique de merde qui alimente le racisme anti-islam en France.
Voire. Le « sujet » a pourtant mis le feu au gouvernement mais aussi à la Macronie, incapable d’adopter une position commune. À l’origine de cette cacophonie, la ministre des Sports Marie Barsacq (et ex-cadre du Comité d’organisation des Jeux Olympiques de Paris, puis à la Fédération française de football), qui a osé émettre des réserves au sujet d’une proposition de loi des LR. De quoi s’attirer les foudres de son collègue Bruno Retailleau, qui a expliqué samedi dernier dans Le Parisien être « en désaccord radical » avec elle.
Apaisement contre surenchère
Le ministre de l’Intérieur, connu pour ses positions proches de l’extrême droite, est un farouche soutien de la mesure. De quoi hérisser ses collègues qui se revendiquent de l’aile gauche de la Macronie. « C’est encore une polémique de merde qui alimente le racisme anti-arabe en France », fulmine un autre conseiller de l’exécutif.
Le trio Retailleau, Bergé et Darmanin s’est affiché soudé lors des questions au gouvernement, mardi : « Pas d’entrisme islamiste, pas d’intégrisme religieux, pas de signe religieux ostentatoire dans les compétitions sportives », a répété Aurore Bergé, en réponse au député RN Julien Odoul. Et ce, alors que l’Assemblée nationale doit bientôt être saisie de la proposition de loi du sénateur LR Michel Savin, récemment adoptée par 210 voix contre 81 au Palais du Luxembourg.
À l’Assemblée, Marie Barsacq a déclaré que « l’entrisme ne se résume pas au port du voile » et que « les sujets de radicalisation dans le sport sont un autre sujet que le sujet du port du voile et d’insignes religieux », fustigeant notamment les « amalgames » faits par certains partis politiques, lors de son audition le 12 mars. « L’objectif du ministère des Sports, c’est de donner l’accès à la pratique sportive à tous et toutes et nous avons aussi la conviction que le sport est un outil d’émancipation pour tous et toutes », avait encore assuré la ministre devant les députés. En coulisses, Marie Barsacq s’est vantée d’avoir réduit le champ d’application de la loi, selon des informations du Figaro.
Le voile, Bayrou s’en cogne, ce qui lui importe, c’est sa pomme.
Des propos apaisants, à l’opposé de la surenchère des membres les plus à droite du gouvernement, en pleine « guerre culturelle », exportée des États-Unis dans l’optique de la prochaine présidentielle. « Elle a déconné dans le cadre d’une audition parlementaire », assure le conseiller d’un ministre régalien à Politis. Le sujet a aussi le mérite de permettre à François Bayrou de « faire la preuve de son autorité », selon notre source.
Le chef du gouvernement avait utilisé la même technique lors du débat sur l’abrogation du droit du sol à Mayotte, début janvier, quand Gérald Darmanin et Élisabeth Borne s’étaient affrontés publiquement sur cette mesure. « Le voile, Bayrou s’en cogne, ce qui lui importe, c’est sa pomme », soupire le conseiller d’un autre ministre. Et tant pis pour les femmes qui souhaitent pratiquer leur sport en accord avec leur religion.
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