Ary Abittan dans « C à vous » : qu’est-ce qu’on a fait au service public ?
L’acteur, accusé de viol et ayant bénéficié d’un non-lieu, est venu sur le plateau de l’émission pour dire qu’il avait été « innocenté ». Face à lui, Anne-Élisabeth Lemoine n’a pas jugé bon de poser les questions qui dérangent.
dans l’hebdo N° 1852 Acheter ce numéro
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« J’ai été accusé à tort, et j’ai été innocenté, trois fois. » L’acteur Ary Abittan, accusé de viol, vient d’arriver sur le plateau de C à vous, le 25 février, et répond à Anne-Élisabeth Lemoine. Celle-ci l’a présenté comme « un homme à qui tout souriait », dont le spectacle « faisait le plein », auréolé du « succès de la trilogie Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ». Mais voilà : « Une plainte, pour viol, déposée en octobre 2021 par une jeune femme qu’il fréquentait depuis deux mois, l’a contraint à un silence médiatique de trois ans. Le temps d’une enquête, d’une première décision de non-lieu, confirmée en appel en avril dernier. »
Ary Abittan est confiant, tranquille. Il appelle Anne-Élisabeth Lemoine « Babeth », il sourit. « Je suis très, très heureux d’être là, merci pour votre invitation. » C’est à la question de Lemoine sur les manifestations organisées par #NousToutes devant les salles de sa tournée ces dernières semaines qu’Abittan réplique qu’il a été « accusé à tort » et « innocenté trois fois ». Mais pas avant d’avoir précisé qu’il « respecte leur combat, parce que c’est très important, la libération de la parole de la femme ». La Femme, prononcez « fââme » : elle, ça va, elle n’est qu’un concept. Mais les femmes qui manifestent, elles, sont trop extrêmes, et puis de toute façon elles ont tort, puisqu’il « a été innocenté ». Il ajoute que « sept magistrats ont décidé qu’[il] était innocent ».
Sauf que non : « Babeth » vient de le dire, il y a eu un non-lieu. Deux fois, mais quand même : bénéficier d’un non-lieu, ça n’est pas être innocenté. Anne-Élisabeth Lemoine devrait le savoir, puisqu’elle énumère tous les détails de son dossier judiciaire, connaît les dates des appels, leur nombre, les différents statuts qu’il a eus (de mis en examen à témoin assisté)… Pas de souci, ces mémos, « Babeth » les a. Mais a-t-elle relu ce que disait la presse de l’affaire – dont on ne précise jamais qu’il s’agit d’une plainte pour viol, « précise et circonstanciée », déposée la nuit-même, que la plaignante, 23 ans à l’époque, l’avait décrit comme « obsédé » par la pratique de la sodomie, qu’il lui aurait imposée alors qu’elle « hurlait de douleur » ?
« Indices graves et concordants »
En 2021, Le Parisien parlait d’« indices graves et concordants » : « Face aux indices graves et concordants recueillis par les enquêteurs, le magistrat a décidé une mise en examen pour viol assortie d’une mesure de contrôle judiciaire. » En 2023, TF1 rappelait que « les lésions vaginales et anales médicalement constatées, des messages adressés par la plaignante à ses amies, du sang sur la serviette de bain saisie au domicile d’Ary Abittan avaient aussi pesé dans la décision de le mettre en examen ».
En 2024, Le Monde rappelait que « les juges avaient reconnu le syndrome de stress post-traumatique de la plaignante ». Si elle ne voulait pas entrer dans ces – horribles – détails, il aurait suffi que « Babeth » reprenne Abittan lorsqu’il prétend avoir été « innocenté ». Il a bénéficié d’un non-lieu, malgré des « indices graves et concordants ».
Mais le vocabulaire employé par « Babeth » fait peu dans la nuance : elle dit qu’il peut « laisser cette affaire derrière [lui] », déplore le « long silence médiatique » d’Abittan, terminé depuis qu’il est remonté sur scène « fort de la décision judiciaire », précise que les féministes « réclament » – et non « demandent », par exemple – l’annulation de sa tournée.
Pas une question sur les ‘indices graves et concordants‘, sur la plaignante, sur son stress post-traumatique.
Lui n’a pas un mot pour la plaignante, qui est pourtant son ex, et « Babeth » ne va certainement pas le pousser à lui adresser une quelconque compassion, trop occupée qu’elle est à s’intéresser à ses sentiments, à lui : « Vous avez douté de pouvoir remonter sur scène ? » ; « Quels sentiments vous ont traversé ? La crainte qu’on vous tourne le dos, une certaine amertume quand vous n’avez pas pu assurer la promotion du dernier volet de Qu’est-ce qu’on fait au bon Dieu ? » ; « Votre parti-pris, c’est de rire avec ce que vous avez vécu ? » ; « Il vous faudra du temps pour passer vraiment à autre chose ? »
Pas un rappel du fait qu’un non-lieu n’est pas une déclaration d’innocence. Pas une question sur les « indices graves et concordants », sur la plaignante, sur son stress post-traumatique. Qu’est-ce qu’on a fait au service public, à « Babeth » et au bon Dieu pour subir une interview si déférentielle ?
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