Frédéric Beigbeder, fossile-type de l’homme du XXe siècle

Dans le Figaro Magazine, l’écrivain nous sert une soupe de restes avariés du grand discours anti-#MeToo. Un numéro qu’il faudrait placer dans une capsule temporelle pour se rappeler à quoi ressemblaient les derniers vestiges du siècle dernier.

Pauline Bock  • 10 mars 2025
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Frédéric Beigbeder, fossile-type de l’homme du XXe siècle
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« Les hommes progressent quand ils plaident coupable : oui, nous sommes parfois des connards ; certes, nous avons bousillé l’environnement ; d’accord, nous avons déclenché toutes les guerres. Aucun homme ne peut être fier d’avoir dirigé le monde pendant des milliers d’années, considérant le résultat. Il n’y a pas de quoi pavoiser. Des millions de morts pour aboutir au réchauffement climatique : tout ça pour ça ? Je comprends qu’on nous présente l’addition. Les mecs, nous sommes responsables de l’esclavage, des génocides et de la colonisation, de la mondialisation pétrochimique, de la pollution plastique et de la bombe nucléaire. »

C’est Frédéric Beigbeder qui parle, dans le Figaro Magazine. Alerte ! Le magazine qui encense Éric Zemmour, qui a joué un rôle central dans la médiatisation du mot « islamo-gauchisme » et qui déjà en 1985 faisait sa une sur un futur « grand-remplacement » fantasmé, un magazine longtemps plus à droite que son quotidien – qui vire désormais lui-même à l’extrême droite – serait-il devenu woke ?

Pas d’inquiétude : le Figaro Magazine n’est pas devenu woke, loin de là.

Il y a une première à tout : me voici face à plusieurs lignes rédigées par Frédéric Beigbeder avec lesquelles je suis en accord sur le fond. Veuillez, si vous le voulez bien, imaginer un instant le public-cible du magazine, par exemple un grand bourgeois issu d’une riche famille industrielle assis sur un canapé en peau de léopard (toute ressemblance avec un récent interviewé des « Pieds sur terre » ne serait pas fortuite), lire ces phrases et recracher son café.

Ça ne doit pas arriver si souvent, que le Figaro Magazine fasse recracher le café des grands bourgeois, alors, Frédéric, si tu me lis : merci pour ce moment, et félicitations pour avoir ouvert un livre d’histoire, de féminisme ou de sociologie, bref un livre qui n’était pas le tien. Mais pas d’inquiétude : le Figaro Magazine n’est pas devenu woke, loin de là.

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Si Beigbeder est presque touchant lorsqu’il s’oublie une seconde (pour saluer le fait qu’avec le scandale de Notre-Dame-de-Bétharram, « plusieurs générations d’hommes parviennent enfin à dire leur souffrance d’enfance »), il ne s’agit bien sûr que de lui, comme d’habitude.

Doigt d’honneur et soupe avariée

Le « portrait de l’homme idéal » qu’il voudrait dresser (« équilibré, aimant sa famille et n’ayant pas peur des sentiments ») est celui d’un vieux mec qui s’auto-congratule (« Ma génération est la première génération de pères qui s’occupent de leurs enfants ») tout en ayant peur d’un jouet à piles (« Le sex toy est la dernière vexation : plus efficace au lit »).

Un ni-ni comme il en court les rues de Saint-Germain-des-Prés (« Nous sommes dégoûtés par l’intolérance du wokisme autant que par la dictature des businessmen ploutocrates ») qui, au lieu de réfléchir à ce qui prépare l’avènement du fascisme, préfère se moquer des « bouffeurs de quinoa » (qui ne sont forcément pas virils) et mettre dos à dos « néoféministes » et « masculinistes forcenés » comme Trump, qui au fond n’est qu’un petit garçon « maltraité à la NYMA (New York Military Academy), où son père l’a froidement inscrit à 13 ans ». Donc son fascisme, racisme et sexisme, ce n’est pas sa faute, au fond.

Voilà le visage de la médiocrité qui a tout détruit : il avait le regard vide et le tailleur hors de prix d’un vaniteux.

Dans cette soupe de restes avariés du grand discours anti-#MeToo (« Aujourd’hui, l’homme est un animal cravaté qui ferme sa gueule dans une manif de féministes ») où surnagent quelques croûtons de vérités (« À  force de soumission à une idéologie minoritaire pour avoir l’air cool, nous donnons raison à Pascal Praud »), Beigbeder aimerait bien qu’on oublie qu’il est l’homme qui plaisantait en 1995 avec Gabriel Matzneff à propos de passer une nuit avec « une fille de 12 ans et demi » ; l’homme qui a relancé une version crasseuse chic et antiféministe de Lui en 2013 ; l’homme qui a été accusé de viol en 2023, ce qu’il ne mentionne jamais dans son « manifeste » (l’enquête a été classée sans suite en 2024).

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Le Figaro Magazine a pour seul but de faire parler. En témoigne la date de cette une clamant « Vive les hommes ! » avec un Beigbeder en miroir (7 mars) qui semble avoir été spécialement pensée comme un doigt d’honneur à la Journée internationale des droits des femmes (8 mars). Bien joué : c’est réussi. Mais malgré le ton implorant de Beigbeder, qui n’attend que ça (il décrit « les apôtres de la cancel culture qui voudront brûler ce magazine à sa publication »), on n’a pas envie de le brûler, ce magazine.

Plutôt de l’inclure dans une capsule temporelle destinée aux aliens ou aux Terrien·nes survivant·es d’ici à un ou deux siècles, pour leur dire : voilà à quoi ressemblaient les derniers vestiges du XXe siècle, voilà comment paradaient les responsables de la catastrophe tout en se posant en victime. Ils savaient ; ils n’assumaient rien. Voilà le visage de la médiocrité qui a tout détruit : il avait le regard vide et le tailleur hors de prix d’un vaniteux qui préféra, littéralement, tourner le dos à un miroir plutôt que de s’y examiner.

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