Torture : Amnesty dénonce les dérives du Taser

Arme controversée du maintien de l’ordre, le Taser est régulièrement présenté comme une alternative non létale aux armes à feu. Pourtant, un rapport accablant de l’ONG révèle son utilisation massive comme acte de torture à travers le monde.

Maxime Sirvins  • 6 mars 2025 abonné·es
Torture : Amnesty dénonce les dérives du Taser
Appliquées directement sur le corps, les électrodes du Taser provoquent une douleur extrême sans incapacitation mais pas sans conséquences physiques et psychologiques.
© Création : Maxime Sirvins

L’organisation Amnesty International a publié, ce jeudi 6 mars, un rapport accablant sur l’utilisation des armes à choc électrique, révélant leur usage massif pour la torture et les mauvais traitements à travers le monde. Intitulé « I STILL CAN’T SLEEP AT NIGHT » (« Je n’arrive toujours pas à dormir la nuit »), ce rapport s’inscrit dans une série d’études sur les armes à létalité réduite et met en évidence un manque de régulation internationale sur ces dispositifs, en particulier leur mode de contact direct, appelé « Drive Stun ».

Une arme dévoyée

Le rapport met en lumière la dangerosité dudit mode « Drive Stun », qui consiste à appliquer directement les électrodes du Taser sur le corps de la victime, provoquant une douleur extrême sans incapacitation. Amnesty rappelle que ce mode a été largement condamné par les instances internationales, notamment le Comité contre la torture de l’ONU, qui le considère comme un instrument de soumission et non de neutralisation.

À travers le monde, l’électrocution est la deuxième forme de torture la plus fréquente après les coups.

Malgré son statut d’arme « non-létale », le Taser est régulièrement employé de manière abusive, particulièrement contre des détenus, des manifestants et des populations vulnérables, selon Amnesty. Le rapport souligne qu’à ce jour, 968 000 Tasers sont en service dans plus de 80 pays. À travers le monde, l’électrocution est la deuxième forme de torture la plus fréquente, après les coups.

… et de torture mondialisée

Le rapport d’Amnesty International compile de nombreux témoignages qui mettent en évidence l’usage abusif du Taser et d’autres armes à impulsion électrique. Dans plusieurs pays, celles-ci, comme les matraques électriques ou des dispositifs plus artisanaux, sont utilisées comme outils de torture. En Biélorussie, l’arme est utilisée contre les opposants politiques, souvent dans le cadre d’interrogatoires visant à obtenir des aveux sous la contrainte. En Pologne, en Lettonie et en Lituanie, des réfugiés et des migrants ont été soumis à des décharges électriques dans les centres de détention. L’un d’eux, détenu en Lituanie, raconte : « Je me suis allongé par terre et pourtant ils m’ont tasé trois fois tout en me frappant avec leurs matraques. »

Au Tadjikistan, chaque commissariat possède un « sac de torture » contenant des pinces, des aiguilles, et des Tasers…

En Colombie, en 2020, un avocat a été tasé en « Drive Stun » pendant cinq minutes alors qu’il était au sol, avant d’être battu à mort par les forces de l’ordre. Au Venezuela, en 2023, un étudiant a été soumis à des décharges électriques sur ses parties génitales dans le cadre d’une répression des opposants politiques. En Chine, notamment dans la région du Xinjiang, des Ouïghours détenus dans des camps de rééducation sont électrocutés pour les forcer à parler mandarin ou à obéir aux ordres.

« Quand j’ai refusé d’enlever mes sous-vêtements, ils m’ont battu avec une matraque électrique jusqu’à l’évanouissement », témoigne un ancien détenu. Au Tadjikistan, un ancien employé du ministère de l’Intérieur révèle que chaque commissariat possède un « sac de torture » contenant des pinces, des aiguilles, et des Tasers, utilisés pour arracher des aveux aux suspects.

Un ancien détenu colombien se réveille en sursaut, comme si son corps ‘se souvenait de la douleur’.

Amnesty souligne également les violences sexuelles et les atteintes spécifiques aux populations vulnérables. Lors du soulèvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran en 2022, des militaires ont administré des décharges électriques sur les parties génitales de garçons détenus. Un jeune manifestant a témoigné qu’ils l’avaient frappé au visage avec la crosse d’un fusil, infligé des décharges dans le dos et asséné des coups de matraque sur la plante des pieds et sur les mains.

Des conséquences physiques et psychologiques

L’impact des décharges électriques ne se limite pas aux douleurs immédiates qu’elles infligent. Amnesty International rapporte que l’usage répété des Tasers peut provoquer des brûlures cutanées graves, des lésions nerveuses et, dans certains cas, des arrêts cardiaques. Des études ont montré que les personnes atteintes de troubles cardiaques, sous l’influence de drogues ou en situation de stress intense, sont particulièrement vulnérables aux chocs électriques, augmentant ainsi le risque de décès soudain.

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Outre les effets physiques, les victimes témoignent de séquelles psychologiques profondes. Nombre d’entre elles souffrent de stress post-traumatique, de crises d’angoisse et de troubles du sommeil. Comme l’indique un ancien détenu colombien ayant subi des décharges en prison, « des années après » il se réveille en sursaut, comme si son corps « se souvenait de la douleur ».

La France, championne du « Drive Stun »

L’usage massif du « Drive Stun » par ses forces de l’ordre semble révéler une contradiction flagrante entre les engagements de la France et la réalité du terrain.

La France fait un usage particulièrement intense du mode « Drive Stun ». Alors qu’au Royaume-Uni, ce dernier ne représente que 1 % des utilisations, en France, il est utilisé dans 48 % des cas selon le dernier rapport de l’IGPN. Un récent cas vient illustrer les dérives françaises : en novembre 2024, un ancien gendarme a été condamné à deux ans de prison avec sursis pour homicide involontaire après avoir utilisé un Taser sur un jeune homme à La Ferté-Saint-Aubin.

En janvier 2024, un homme de 30 ans est, lui, décédé à Montfermeil après avoir reçu une douzaine de décharges électriques lors de son interpellation. Amnesty rappelle que la France « est le premier producteur européen, via ses entreprises, d’armes à impulsion électrique en mode contact. Et au niveau mondial, la France est cinquième, après la Chine, USA, Inde et Taïwan ».

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Pourtant, la France affiche une position officielle favorable à la lutte contre la torture. Lors d’un dialogue avec la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la torture en mars 2024, elle a réaffirmé son engagement « pour une prévention efficace des actes de torture ». Par ailleurs, la France est signataire du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, un texte ratifié par 91 pays. Toutefois, si la France s’engage sur la scène internationale à lutter contre ces pratiques, l’usage massif du « Drive Stun » par ses forces de l’ordre semble révéler une contradiction flagrante entre ses engagements et la réalité du terrain.

Les recommandations d’Amnesty International

En conclusion de son rapport, Amnesty International formule plusieurs recommandations. L’organisation demande en premier lieu l’interdiction totale du mode contact « pour son caractère intrinsèquement abusif ». Les entreprises ont également une responsabilité. Amnesty demande qu’elles mettent en place des procédures renforcées afin d’éviter que leurs produits ne soient utilisés à des fins de torture et de mauvais traitements.

Amnesty souligne aussi la nécessité d’un traité mondial contraignant pour réglementer la production et le commerce des armes à létalité réduite. Avec plus de 80 organisations de la société civile, elle milite pour que l’ONU adopte un cadre international strict et impératif, qui imposerait des interdictions et des contrôles globaux sur l’ensemble des équipements de maintien de l’ordre, y compris les armes à impulsion électrique. Un tel cadre permettrait de « limiter les abus et d’obliger les États à rendre des comptes sur l’usage de ces dispositifs ».

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