À Paris, Marine Le Pen s’imagine en Martin Luther King face « aux forces du système »

Devant une foule éparse, la cheffe de file du Rassemblement national, condamnée à cinq ans d’inéligibilité, a continué ses attaques contre la « République des juges ». Et tente de se poser en défenseure de l’État de droit face à cette « décision politique ».

Lucas Sarafian  • 6 avril 2025 abonné·es
À Paris, Marine Le Pen s’imagine en Martin Luther King face « aux forces du système »
Marine Le Pen, lors du rassemblement de soutien en sa faveur, suite à sa condamnation lundi 31 mars 2025.
© JULIEN DE ROSA / AFP

Quel bel après-midi pour faire la guerre à la justice. Sur la place Vauban, dans le très chic 7e arrondissement de Paris, un soleil de plomb, une nuée de drapeaux français et quelques milliers de militants venus soutenir cette candidate « empêchée », cette victime d’un système politico-judiciaire à la solde de l’extrême gauche, celle qui se retrouve stoppée net dans son accession à l’Élysée à cause d’un simple « différend administratif ». Condamnée dans le procès des assistants fictifs du Rassemblement national (RN) à quatre ans de prison, dont deux ferme, 100 000 euros d’amende et, surtout, cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, Marine Le Pen organise la riposte.

Rendez-vous était donné ce dimanche 6 avril, au pied de l’hôtel des Invalides. Mot d’ordre : « Sauvons la démocratie. » « La démocratie a tremblé lundi dernier car la seule candidate à même d’incarner un changement dans le pays risque de ne pas pouvoir se représenter : c’est un procès politique et non judiciaire », affirme entre deux selfies Laure Lavalette, députée RN du Var. « Que ça plaise ou non, Marine Le Pen représente des millions de Français dans le pays. Et ça, c’est une réalité démocratique qui ne peut pas être empêchée », prévient Julien Odoul, député de l’Yonne, porte-parole du parti, et condamné le 31 mars à huit mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité sans exécution provisoire. « Une indignation populaire et légitime se lève dans le pays. »

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Une indignation populaire, vraiment ? Alors que l’heure du début des prises de parole se rapprochent, la place Vauban est plutôt clairsemée. Seule une petite moitié de l’espace est occupée. Loin de la démonstration de force voulue par Marine Le Pen et les siens qui rêvaient d’une place remplie par une dizaine de milliers de militants venus de toute la France. L’objectif est loin d’être rempli.

Ambiance grands complots

Aux alentours de 15 heures, les enceintes qui crachent du Abba, Chris Brown, des remix électro de Dalida ou Born to be alive s’éteignent soudainement. À la tribune, Louis Aliot, maire de Perpignan, condamné à 18 mois de prison dont 6 mois ferme sous bracelet électronique et 3 ans d’inéligibilité, lance les hostilités. Ses cibles ? Cette décision injuste, cette oligarchie « qui gère les affaires de l’Europe comme celle de la France », ce « système » qui « fait la guerre pour détruire ce que nous représentons », l’ex-président du Parlement européen Martin Schulz ou encore l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira. « Ils utiliseront tout pour empêcher la renaissance de notre patrie », avance-t-il. Ambiance grands complots, « État profond » et « République des juges ». 

Éric Ciotti, député des Alpes-maritimes et président de l’Union des droites pour la République (UDR), continue sur le même ton. « Vous êtes ce peuple de France que l’on accuse, que l’on méprise, que l’on craint. Mais aujourd’hui, ce peuple de France refuse de se laisser abattre. Ce peuple de France, il veut résister, il veut choisir librement son destin, s’emballe le député. Vous êtes les fantassins de la démocratie en danger, vous êtes les héritiers des pères fondateurs de la République, alors ne vous laissez pas confisquer ce joyau ! » Il n’hésite pas non plus à faire un parallèle avec l’affaire Fillon, cet ancien candidat à la présidentielle qui aurait été lui aussi « empêché » en 2017 par ce même « système » politico-judiciaire : « Nous avons fait face au même système qui refuse toute alternance patriote ! »

Une date sombre dans l’histoire de France.

J. Bardella

Jordan Bardella est plus dramatique. Pendant près d’une demi-heure, le président du RN, considère que le 31 mars est une « date sombre dans l’histoire de France », une « attaque directe contre la démocratie », une « blessure pour les millions de Français patriotes ». Rien que ça. L’ex-tête de liste aux européennes cite allègrement le général de Gaulle, cible le Syndicat de la magistrature, s’insurge contre cette décision qu’il considère comme une « mise à mort financière » pour son parti, ne se gène pas vraiment pour critiquer ce « système judiciaire qui laisse des OQTF libres de briser des vies, ce système judiciaire qui laisse en liberté des délinquants récidivistes ».

Il ose même un peu plus tard : « Il ne s’agira jamais pour nous de mettre en accusation ou de jeter le discrédit sur l’ensemble des juges ou de l’institution judiciaire. Jamais notre mouvement ne remettra en cause la séparation des pouvoirs ou l’indépendance de la justice […]. Jamais nous n’exercerons de contrainte ou de pression sur la démocratie. » Curieuse assertion au milieu de ce rassemblement politique critiquant ouvertement une décision de justice.

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16 h 12. Entrée en scène de Marine Le Pen. La députée du Pas-de-Calais, présidente du groupe à l’Assemblée et candidate naturelle de son parti pour 2027 est accueillie en héroïne. Derrière elle, la centaine de députés de son camp, écharpes accrochées sur leurs épaules, l’applaudissent. Comme une armée derrière elle. La scénographie est censée impressionner. La foule, beaucoup de retraités, mais aussi de jeunes couples, des groupes d’amis ou des familles, pas mal de cinquantenaires, crie « Marine, présidente ! » ou « On est là ! ».

Marine Le Pen, veste sombre et haut blanc, se montre offensive : « Vos messages, vos ralliements sont, pour moi, une raison supplémentaire de ne rien lâcher. Et que chacun soit rassuré : je ne lâcherai rien ! » La cheffe de file du RN semble avoir lu Charles Maurras qui, dans L’Avenir de l’intelligence (1905), écrit cette formule adressée à son ami René-Marc Ferry : « Tout désespoir en politique est une sottise absolue. » Car celle qui a été condamnée en première instance ce 31 mars ne veut pas « abdiquer » face aux « forces du système dont le seul projet est de se maintenir quel qu’en soit le prix ou la bassesse des moyens mis en œuvre pour y parvenir ».

Argumentaire populiste habituel

Dans un argumentaire populiste habituel à l’extrême droite, la députée s’adresse directement au « peuple de France ». « Comme vous, nous partageons une sainte horreur de l’injustice et de la partialité. Nous ne pouvons que nous comprendre, vous, le peuple de France, qui subissez chaque jour votre lot de dénigrements, de mépris, d’injustices, livré à toutes les insécurités sociales, physiques, maltraités dans votre propre pays, nié dans votre culture et dans votre identité, développe-t-elle. Vous restez pourtant irréductibles et convaincus que le découragement, la soumission n’est pas envisageable, que le combat doit être mené ! »

La triple candidate à la présidentielle, victime d’une « chasse à l’homme politique », va jusqu’à se présenter comme une défenseure de la démocratie, une garante des institutions face à ceux qui voudraient en faire « un jeu pervers de persécution des opposants, de criminalisation des adversaires ». Tentative flagrante d’inverser la situation.

Cette affaire ? ‘Un différend administratif’.

M. Le Pen

L’ancienne et éphémère avocate tente ensuite de dénigrer l’affaire des assistants parlementaires fictifs de son parti, une enquête engagée « à l’instigation de nos adversaires socialistes du Parlement européen », menée par l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), « cet organisme totalitaire de la commission européenne », une instruction confiée à « une magistrate du Syndicat de la magistrature »

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Au fond, cette décision qui ne devait être, selon elle, qu’un « différend administratif » avec le Parlement européen révèle les velléités de certains juges « de faire de nos institutions les plus sacrées l’outil de leur idéologie avec un sentiment de toute-puissance ». « Il faut arrêter de nous reprocher de critiquer une décision de justice. Ce n’est pas une décision de justice, c’est une décision politique ! », crie-t-elle à la tribune.

Opération « Sauvez notre candidate désespérée »

Jamais avare d’emphase, Marine Le Pen appelle à une « résistance pacifique et démocratique, une résistance populaire et patriote » pour mener ce « combat pour les droits civiques ». « Notre ligne de conduite ne sera jamais celle de la brutalisation chère à d’autres formations politiques, mais celle pacifique du pasteur Martin Luther King pour les droits civiques des citoyens américains opprimés et privés de droits », s’enflamme Marine Le Pen dans une contorsion historico-politique.

Sans évoquer ne serait-ce qu’une seule fois le sujet de la présidentielle de 2027, elle espère mobiliser un mouvement massif « pour la justice et le droit » et en faveur d’un projet de « redressement national et de refondation sociale ». « Aujourd’hui est un jour historique, un jour où se lève avec joie et ferveur un grand mouvement en faveur de la liberté du peuple, lance-t-elle. Mes amis, n’oubliez jamais les raisons pour lesquelles ils nous attaquent si durement, avec tant de déloyauté. Ils ne font cela que pour une seule raison : nous sommes en train de gagner, vous êtes en train de gagner ! ». L’opération « Sauvez notre candidate désespérée » est lancée.

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