« Que l’État joue enfin son rôle avec un vrai plan d’adaptation climatique »

Une action en justice inédite vise les politiques d’adaptation climatique de la France, jugées insuffisantes. Trois sinistrés climatiques témoignent des impacts du changement climatique sur leur quotidien.

Vanina Delmas  • 8 avril 2025 abonné·es
« Que l’État joue enfin son rôle avec un vrai plan d’adaptation climatique »
Lors de la conférence de presse de l'action en justice. De gauche à droite : Marie Le Mélédo, Racha Mousdikoudine et Jérôme Sergent.

Quatorze citoyen·nes et des associations ont lancé un recours en justice contre l’État français l’accusant de ne pas répondre à ses obligations de protection des populations en termes d’adaptation au changement climatique. Une action inédite dans l’Union européenne, initiée par trois des ONG qui avaient porté le recours dit de « l’Affaire du siècle » pour inaction face au changement climatique en 2018 : Oxfam, Greenpeace et Notre affaire à tous.

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Ils pointent en particulier les insuffisances criantes du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc3) publié en mars dernier censé préparer la France métropolitaine à un scénario de +4 °C. Trois des sinistrés climatiques corequérants de l’affaire livrent leur témoignage, mettant en lumière les impacts actuels du changement climatique sur les logements, sur la santé et pour l’agriculture.

Marie Le Mélédo, habitante des Lilas, en Seine-Saint-Denis

« J’ai acheté un appartement en 2018 et juste après la sécheresse d’août 2020, il s’est complètement fissuré. Quand je suis rentrée de vacances, j’ai vu que tout était fissuré, que le plancher était enfoncé, que les portes et fenêtres ne s’ouvraient plus… Il est aujourd’hui inhabitable. Au début, j’ai cru que c’était de ma faute, à cause des travaux de remise à neuf que j’avais faits. Au bout de deux ans et 20 000 euros d’études, on a compris ce qu’il s’était passé, le lien entre les mouvements de sols, la sécheresse et l’état de sinistre de l’appartement.

« Si je participe à ce recours, c’est pour rendre compte d’une réalité qui est ce changement climatique. On le vit tous les jours. » (Photo : Affaire du siècle.)

En 2020, c’était la première fois que la ville des Lilas était reconnue en état de catastrophe naturelle pour une question de sécheresse ! Ce bâtiment a très bien tenu depuis sa construction il y a 150 ans, mais ses fondations sont adaptées au climat d’il y a un siècle. Le bâtiment a été mis en arrêté de péril ordinaire. Je ne souhaite à personne ce qui m’arrive. Depuis ce jour-là, je suis entrée dans un tunnel pour essayer de sauver la situation. Ça bouleverse une vie de subir une catastrophe naturelle de ce type-là. Ne plus pouvoir habiter chez soi divise votre vie sociale et affective par deux car il faut gérer ce problème le soir et le week-end.

Si je participe à ce recours, c’est pour rendre compte d’une réalité qui est ce changement climatique.

Financièrement, c’est lourd à porter car je dois autofinancer mon relogement. Aujourd’hui, je paye 1 200 euros pour l’emprunt de l’appartement sinistré, ainsi que 700 euros pour mon relogement, soit environ 2 000 euros par mois. Sans compter les études complémentaires nécessaires dans ce genre de dossier (bureaux de contrôles, architectes, maîtres d’œuvre…) qui fait un budget total d’environ 15 000 euros par an. Cela remet en cause les autres projets de vie et cela dure pendant des années. Si je participe à ce recours, c’est pour rendre compte d’une réalité qui est ce changement climatique. On le vit tous les jours. Et pour demander que l’État joue enfin son rôle avec un vrai plan d’adaptation climatique, avec une vraie vision long terme, sur un siècle, sur comment on répond à tous ces enjeux. »

Jérôme Sergent, paysan à Rumilly, dans le Pas-de-Calais

« Il y a six ans, ma compagne et moi nous sommes installés en tant que paysans sur une ferme transformée en éco-lieu dans le Pas-de-Calais, dont nous sommes originaires. Depuis 2019, nous subissons chaque année des ruissellements agricoles, conséquences des fortes pluies, qui touchent le territoire et viennent gonfler le lit des rivières. À l’hiver 2023-2024, nous avons été inondés huit fois en quatre mois. Mes terres sont restées sous l’eau pendant un mois et demi, j’ai perdu dix-huit volailles, du matériel de production nécessaire à mon activité a été emporté par les eaux, et nous avons eu des dégâts sur nos bâtis. Des fissures apparaissent alors que la maison date de 1740 !

« Nous avons constamment l’impression de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête à chaque fois qu’il pleut. » (Photo : Affaire du siècle.)

Les anciens étaient conscients de ce risque d’inondation, ils ont construit la maison sur un promontoire en silex ce qui a permis d’épargner notre habitation des eaux. Par contre, les sécheresses et les inondations qui s’enchaînent impactent tous nos bâtis à cause des mouvements de terrain car il y a de l’argile en dessous. Au fil des années, nous avons réalisé tous les aménagements nécessaires pour essayer d’éviter les ruissellements notamment en nous inspirant des solutions fondées sur la nature, et sur les ouvrages d’hydrologie générative : des fascines (haie de bois tressé qui freine l’eau et retient la terre) des baissières (petit fossé adossé à un talus), un réseau de mares…

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Tous ces aménagements, faits sur nos deniers propres, permettent de créer des zones tampons pouvant stocker et filtrer l’eau. Nous vivons à 10 km du fleuve Aa, et les terrains sont assez pentus. Les précédentes inondations dataient de 2002. Après cet épisode, les collectivités locales ont fait des « champs d’inondation contrôlés », chargés de récupérer les eaux en excès. Les ouvrages ont donc été dimensionnés par rapport à la crue de 2002 mais étaient sous-dimensionnés par rapport à ce qu’on a vécu à l’hiver 2023-2024… Cela témoigne bien de l’amplification de ces phénomènes.

J’espère que grâce à ce recours en justice, l’État entendra ces voix et prendra des mesures à la hauteur.

Depuis notre installation, nous ne pouvons pas développer notre activité économique sereinement et nous avons constamment l’impression de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête à chaque fois qu’il pleut. On a le sentiment de ne pas être entendus alors que 540 000 personnes ont été considérablement touchées par les inondations rien que dans le Pas-de-Calais ! J’espère que grâce à ce recours en justice, l’État entendra ces voix et prendra des mesures à la hauteur des risques climatiques au lieu de nous mener en bateau. »

Jean-Raoul Plaussu-Monteil, ingénieur en Isère, et souffrant d’épilepsie

« Je suis épileptique suite à une encéphalite à l’âge de 12 ans. Chez moi, cela se manifeste par des absences, et au fil des années, j’ai développé une pharmacorésistance, donc les traitements médicaux ne font plus effet. Il faut donc une hygiène de vie particulière pour essayer de prévenir ces crises et se protéger. L’un des facteurs essentiels est le sommeil. Or, dans les moments de canicule, notamment en milieu urbain, les températures nocturnes ne descendent parfois pas en dessous de 25 °C. et jusqu’à plus de 30 °C dans les appartements sous les toits. Impossible d’avoir une nuit réparatrice dans ces conditions : le sommeil est altéré, et on constate une aggravation de l’épilepsie sur ces moments-là. De plus, la transpiration engendre une perte de sodium, pouvant aller jusqu’au phénomène d’hyponatrémie, et cette carence en sodium favorise les crises d’épilepsie.

« Mon métier, et mon employeur, me permettent de télétravailler les jours de canicule. Mais tout le monde n’a pas cette chance, l’injustice sociale est évidente. » (Photo : Affaire du siècle.)

J’ai vécu une dizaine d’années dans le centre-ville de Grenoble, dans un appartement sous les toits, et c’était intenable. Je me souviens de la canicule de 2003… Je devais mettre en place des stratégies pour y faire face comme partir en camping dans la nature. C’est aussi la dernière fois que j’ai pris le volant à cause d’une crise : j’ai eu un accident qui m’a provoqué une fracture au niveau de la première lombaire, trois mois d’immobilisation et un corset rigide…

Je veux témoigner pour faire ressortir cette injustice, ce manque de protection de la part de l’État.

Je parle souvent de « confinement climatique » car on en arrive à vivre confiné l’été chez soi, en étant obligé d’inverser son rythme de vie. J’ai été obligé de le quitter et j’ai pu m’éloigner à une vingtaine de kilomètres et m’installer en bordure de forêt qui m’apporte beaucoup de fraîcheur. De plus, mon métier, et mon employeur, me permettent de télétravailler les jours de canicule. Mais tout le monde n’a pas cette chance, l’injustice sociale est évidente. Les phénomènes de canicule développent aussi un risque d’accroissement des cas d’épilepsie. Être épileptique, c’est avoir un cerveau qui va répondre d’une façon anormale à une situation normale. Or, faire une crise peut arriver à tout le monde et ce sera cette fois-ci la réponse normale à une situation anormale : beaucoup d’insomnies, phénomènes de canicule intense, déshydratation…

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Tous ces phénomènes extrêmes risquent de se manifester de plus en plus fréquemment, et dans l’ensemble de la population. Paradoxalement, c’est l’État et tout un chacun qui va en faire les frais donc il serait plus logique d’anticiper, de faire de la prévention en amont au lieu de payer la note dans 20 ou 30 ans. Je veux témoigner pour faire ressortir cette injustice, ce manque de protection de la part de l’État qui présente des mesures largement insuffisantes, notamment sur le plan de la santé. »

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