Un « keynésianisme de guerre » ?

Les partisans de l’économie de guerre arguent que celle-ci relancerait la croissance économique. Cela a-t-il un sens ?

Jean-Marie Harribey  • 9 avril 2025
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Un « keynésianisme de guerre » ?
© Marek Studzinski / Unsplash

Le gouvernement français prévoit de porter les dépenses militaires de 50 milliards (Mds) d’euros en 2025 à 70 Mds en 2030, voire à 100 Mds, soit 3 à 3,5 % du PIB. Et la Commission européenne appelle à un plan de 800 Mds. Outre la volonté de parer aux menaces éventuelles, les partisans de l’économie de guerre arguent que celle-ci relancerait la croissance économique. En quelque sorte, il s’agirait d’un keynésianisme de guerre. Cela a-t-il un sens ?

Une bifurcation productive peut s’aider des instruments budgétaires et monétaires keynésiens.

Si des investissements supplémentaires sont engagés dans les industries d’armement, il y aura une stimulation de l’accumulation du capital dans ces industries et celles alentour : de la valeur ajoutée en plus, donc du PIB ; des salaires et des profits distribués en plus, c’est-à-dire de la croissance de valeur en plus, mais pas de croissance de valeur d’usage pour la population s’il n’y a pas de production de biens de consommation supplémentaires. Avec une extension de l’économie de guerre, le déséquilibre entre offre et demande de consommation ne peut être réduit que par un accroissement des impôts en proportion, sinon avec des coupes dans les autres dépenses.

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L’Insee confirme que « le climat des affaires dans l’industrie de défense a nettement progressé depuis l’invasion de l’Ukraine, porté par la forte hausse des commandes », mais que « les industries de défense [font] face à des contraintes d’approvisionnement et à une relative tension sur leurs capacités productives » (1). Dès lors, il ne serait pas étonnant que l’effet multiplicateur de dépenses militaires soit très faible, du moins à court terme. D’abord parce que la distorsion entre le type de production offerte et celle demandée est trop forte. Ensuite parce que, s’il s’avère nécessaire de prélever des impôts supplémentaires, évitant le risque d’inflation, la relance keynésienne espérée s’amenuisera.

Un financement monétaire des dépenses publiques par la Banque centrale est toujours possible. Cela ne résoudrait pas l’inadéquation entre un type de production (des armes) et les biens de consommation utiles à la population, avec le risque d’inflation en prime. Si le financement des dépenses militaires supplémentaires était assuré par le crédit bancaire traditionnel, le hiatus offre/demande demeurerait. Certains proposent d’utiliser l’épargne. Mais le stock d’épargne n’est-il pas déjà utilisé à d’autres fins ? Si le plan de l’Union européenne est financé par emprunt sur les marchés financiers, qu’il soit européen ou national ne résout pas le dilemme des nouvelles dépenses ou de substitution des unes aux autres.

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Reste le problème le plus important de la nature de la production à dynamiser, de sa qualité à répondre aux besoins d’éducation, de santé, d’infrastructures et d’énergie soutenables, etc. Il s’agirait d’un projet de politique économique débarrassé des carcans néolibéraux budgétaires et monétaires, qui ne soit pas un énième plan de relance aveugle. Donc il nous faut des impôts supplémentaires, en réintroduisant en même temps la possibilité du financement monétaire par la banque centrale. Un keynésianisme de guerre n’a pas grand sens. En revanche, une bifurcation productive peut s’aider des instruments budgétaires et monétaires keynésiens (2).

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