Trump, les marchés… et la gauche
Que les gouvernements soient de droite ou de gauche, ils doivent composer avec les exigences des investisseurs. Une hausse des taux d’intérêt ou une fuite des capitaux peuvent rapidement rendre le financement de la dette insoutenable.
dans l’hebdo N° 1859 Acheter ce numéro

© TIMOTHY A. CLARY / AFP
Les marchés financiers ont imposé à Trump un recul en rase campagne sur les droits de douane. Que les gouvernements soient de droite (comme celui de Liz Truss au Royaume-Uni, dont le projet de cadeaux fiscaux aux très riches a provoqué une crise financière à la City en 2022) ou de gauche (comme Syriza en Grèce, contraint à l’austérité en 2015), ils doivent composer avec les exigences des investisseurs. Une hausse des taux d’intérêt ou une fuite des capitaux peuvent rapidement rendre le financement de la dette insoutenable.
Cette pression des marchés est parfois relativisée par des économistes de gauche, au motif de l’abondance structurelle de capitaux qui cherchent à s’investir dans des titres sûrs (1). Mais celui-ci n’a en rien empêché les taux d’intérêt sur la dette américaine de commencer à flamber, signal d’alarme inquiétant pour un pays au budget fortement déficitaire (7 % du PIB, plus que la France).
Selon Éric Berr, coanimateur du département d’économie de l’Institut La Boétie, « la demande est deux à trois fois plus élevée que les titres émis sur le marché » (« Notation de la France par Standard & Poor’s : une aubaine pour Bercy ? », C. Mathieu, L’Humanité, 1er juin 2023).
La France, comme les pays de la zone euro et à la différence des États-Unis, ne peut pas imprimer de l’argent pour refinancer sa dette. En cas de défiance des investisseurs, les taux d’emprunt explosent. La BCE peut indirectement soutenir les États via le rachat de dette sur le marché secondaire. Mais elle ne le fait pas systématiquement, et certainement pas pour aider des politiques de redistribution des revenus et des pouvoirs. Un gouvernement qui ne veut se soumettre ni aux marchés financiers ni à la BCE doit trouver des mécanismes alternatifs. Plusieurs pistes existent.
La fraude fiscale coûte environ 100 milliards d’euros par an à la France. Un renforcement des contrôles peut dégager des marges budgétaires. Une taxe sur les transactions financières pourrait rapporter plusieurs milliards. Un impôt sur la fortune (ISF) bien calibré peut réduire les inégalités tout en finançant les dépenses publiques. L’État peut aussi forcer les banques à souscrire à la dette publique, avec des réserves obligatoires auprès du Trésor public, ou créer des obligations citoyennes : des emprunts nationaux à taux attractifs pour les ménages peuvent financer des projets publics. L’Irlande a utilisé ce système après la crise de 2008.
Il est aussi possible de créer des monnaies complémentaires ou d’émettre des titres de paiement différé (comme les « mini-BOT » italiens) : en 2019, l’Italie a envisagé des reconnaissances de dette pour payer ses fournisseurs publics. Certaines régions (comme le Pays basque avec l’Eusko) utilisent des monnaies complémentaires : une monnaie parallèle pourrait soulager la trésorerie de l’État.
Enfin, il est possible de renégocier la dette ou d’imposer une restructuration. Dans les années 1990, avec le plan Brady, les pays latino-américains ont réduit leur dette via des échanges de titres, rallongeant les échéances et imposant une décote aux créanciers. La Grèce a fait de même en 2012. Un gouvernement de gauche résolu et soutenu par la mobilisation de la population pourrait en faire autant ; encore faut-il préparer ce bras de fer.
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