Face à la crise budgétaire, François Bayrou fait du flou avec du vide

Le premier ministre, déjà menacé par la censure sur le budget 2026, lance un « comité d’alerte » sur les finances publiques auquel il ne participe pas. Une énième « opération de communication », selon les oppositions, permettant au centriste de gagner du temps.

Lucas Sarafian  • 15 avril 2025 abonné·es
Face à la crise budgétaire, François Bayrou fait du flou avec du vide
François Bayrou et le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Éric Lombard, lors de la conférence sur les finances publiques, à Paris, le 15 avril 2025.
© Alain JOCARD / AFP

Épreuve de vérité. Après les atermoiements des négociations budgétaires qui ont précédé l’adoption en force du budget 2025, François Bayrou veut prendre les oppositions de court, reprendre son souffle, gagner du temps. Mais en a-t-il vraiment devant lui, du temps ? La France est sous la pression d’une procédure pour déficit excessif, le gouvernement est obnubilé par les agences de notation.

Et la suite s’annonce encore plus rude : François Bayrou est loin d’avoir une majorité parlementaire acquise pour faire voter le budget 2026 qui se fixe comme objectif des « efforts supplémentaires » à hauteur de 40 milliards d’euros. La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS) et le Rassemblement national (RN) menacent déjà de censurer le gouvernement. Résumé de la situation : François Bayrou est encore dans une sacrée galère.

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Pour sa riposte, le premier ministre donne rendez-vous ce mardi 15 avril à 11 heures au 20, avenue de Ségur pour une grande conférence de presse sur l’état des finances publiques. À peine monté sur scène, il entre dans le dur : « Il est des rendez-vous cruciaux dans l’agenda politique du gouvernement. Il est des heures de vérité décisives. Et celle-ci en est une. » Le ton est grave. Le locataire de Matignon joue peut-être son avenir politique.

Réécrire l’histoire

Depuis l’adoption en force du budget 2025, le patron du Modem ne semble pas avoir sorti la tête de l’eau. Enlisé dans l’affaire Bétharram et incapable de surmonter les divisions du « socle commun » où fleurissent les ambitions présidentielles, Bayrou n’a pas su imprimer sa marque. Il n’a même pas pu défendre une loi politiquement assez forte pour faire taire les commentaires et les critiques. Mais l’intéressé, sûr de son court bilan, tente de réécrire l’histoire.

« Le jour de la formation du gouvernement, le 23 décembre, il y a à peine trois mois et demi, nous n’avions pas de majorité, le gouvernement de Michel Barnier avait été renversé, nous n’avions pas de budget pour l’action publique, nous avions encore moins de budget pour l’action sociale et 84 % des Français jugeaient que le gouvernement ne passerait pas le mois, rappelle François Bayrou. Nous avions devant nous un parcours d’obstacles sans précédent, chacune des forces politiques présentant ses lignes rouges comme autant de menaces braquées sur toute avancée. Nous avons dû, en cinq semaines, surmonter six motions de censure […]. Nous avons ensuite fait adopter des textes importants comme la loi d’orientation agricole, la loi d’urgence pour Mayotte, la loi sur le narcotrafic… »

Aujourd’hui, « l’Himalaya » de difficultés n’a pas subitement disparu. Le conclave sur les retraites, que François Bayrou a sérieusement bousculé en refusant un retour à 62 ans, est toujours en cours. Le rapport de la commission d’enquête sur le dérapage budgétaire, pilotée par l’insoumis Éric Coquerel, le macroniste Mathieu Lefèvre et l’allié du RN Eric Ciotti, paru ce 15 avril, pointe des « raisons techniques » expliquant les écarts de prévisions, des tentatives de « dissimulation » et une croyance insensée dans la politique de l’offre, une ligne qui tarde à montrer ses effets positifs.

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Mais face à cette situation, François Bayrou a une solution miracle : un « comité d’alerte » sur les finances publiques. Lancé à 9 heures ce 15 avril, cet objet politique aux contours très flous réunit les syndicats, le patronat, des représentants d’associations d’élus – l’Association des maires de France (AMF) n’a pas souhaité y participer –, des gestionnaires des caisses de la Sécurité sociale, des parlementaires, des ministres… mais pas François Bayrou.

Cours magistral

Deux heures plus tard, à l’issue de la première réunion de ce « comité », le Premier ministre fait le SAV de cet ovni politique et se lance dans une longue leçon d’économie, sorte de session de rattrapage de son discours de politique générale de janvier. Armé de slides et de graphiques, l’agrégé de lettres fait un cours magistral d’environ 45 minutes sur l’état budgétaire du pays. Selon lui, la France ne produit pas assez, ne travaille pas assez, dépense bien trop. Résultat ? La dette, « immorale » pour Bayrou, entraîne le pays au bord du précipice. Voilà le tableau.

C’est de la survie de notre pays qu’il s’agit.

F. Bayrou

Le premier ministre n’a qu’une seule ligne rouge : le refus des hausses d’impôts et des prélèvements obligatoires, des solutions « intenables » pour lui. Le locataire de Matignon dessine néanmoins quatre « voies d’ascension » pour sortir du piège économique : la construction d’une indépendance en matière de sécurité et de défense, le refus du surendettement, la refondation de l’action publique à travers l’objectif de simplification, la préservation de la vitalité économique pour garantir les emplois et les investissements. « Nous avons une conscience aiguë de la situation, mais il serait lâche de fermer les yeux, assure Bayrou. Aucun gouvernement, ni le nôtre, ni celui qui viendra après nous, ne pourra éluder cette question. C’est de la survie de notre pays qu’il s’agit. »

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L’exercice de transparence, si rare en politique, est louable. Mais la finalité de l’opération reste à trouver. Car François Bayrou ne délivre aucune réponse concrète aux problèmes budgétaires du pays. « L’ADN du métier de journaliste, c’est qu’on ne peut jamais s’arrêter au moment que nous sommes en train de vivre », balaye-t-il. Toutefois, le centriste assume sa stratégie : s’adresser directement à l’opinion publique et lui faire état, en toute honnêteté, de la réalité des comptes publics. Il en vient même à citer Lénine : « Seule la vérité est révolutionnaire. »

Manque de clarté

Convaincu que « seule une prise de conscience des concitoyens, seule une confrontation les yeux ouverts peut soutenir une action déterminée », le septuagénaire veut dire la vérité, cette « vérité qui permet d’agir ». « C’est la vérité qui est la clef pour entrer dans cette prise de conscience. Si les Français disent non, alors nous verrons se mettre en place une crise considérable », développe-t-il.

François Bayrou assume une stratégie dont on peine à comprendre l’issue : il annonce vouloir créer, après le conclave sur les retraites, un nouvel espace de « dialogue social » – sans en dire davantage – tout en faisant mine de s’adresser directement aux Français. Le message manque de clarté. Rêve-t-il de conjurer le sort de son impopularité ? Cherche-t-il un chemin pour échapper aux négociations partisanes et à ces « lignes rouges » qui l’agacent tant ?

Les chiffres on les connaît, c’est une opération de communication, c’est très clair.

F. Hommeril

La manœuvre ne convainc pas vraiment. Les syndicats et certains parlementaires de l’opposition en attendent un peu plus du gouvernement. « 40 milliards ? Pourquoi pas 60 ou 20 ? Il y a des objectifs. OK, on a compris. Mais au fond, quelle est la stratégie ? Par quels moyens le gouvernement va prendre des décisions intelligentes pour relancer l’activité économique et restaurer l’espace de confiance ?, se demande François Hommeril, président de la CFE-CGC. Les chiffres on les connaît, c’est une opération de communication, c’est très clair. On n’a pas appris grand-chose malheureusement. Et surtout, on n’a rien appris sur les moyens et l’ambition du gouvernement pour inverser la tendance et tirer l’économie vers le haut. »

« Quel bras va-t-on couper aux malades ? »

« Je rêverais d’un gouvernement avec une ligne et des propositions qui nous disent : qu’est-ce que vous en pensez ? On n’en est pas encore là », glisse Charles de Courson, député Liot et rapporteur général de la commission des Finances.

Surtout, le numéro d’équilibriste du chef du gouvernement interroge. Car François Bayrou considère n’avoir « aucun tabou » pour chercher ces 40 milliards d’euros mais refuse d’envisager la moindre hausse d’impôt. « La vision du gouvernement est une vision comptable. On ne fait pas un budget avec un tableur Excel, pointe Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT. Sortez de vos dogmes, sortez de vos idées reçues. Arrêtez de nous dire : ‘On ne touche pas à l’impôt.’ On sait qu’il y aura des choix qui seront difficiles, mais il faut que les efforts soient partagés, que la boussole soit la justice sociale. »

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« Le cadre du débat que François Bayrou propose se résume à cette question : ‘Quel bras va-t-on couper aux malades ?‘, raille Aurélien Le Coq, insoumis membre de la commission des Finances. Il essaie peut-être de gagner du temps, d’essayer de faire peur à tout le monde en invoquant le contexte international… C’est une opération d’enfumage pour faire peur et contraindre les uns et les autres à rester dans le giron macroniste et sauver ce gouvernement. »

Il n’y a eu aucun dialogue, on a pu s’exprimer deux minutes, il n’y a eu aucune réponse à nos interrogations et à nos interpellations.

S. Binet

D’autres dénoncent l’organisation de ce « comité d’alerte ». « Amélie de Montchalin a dit qu’on avait été associés à ce comité d’alerte. J’ai plutôt l’impression qu’on a été, si je suis aimable, informés et, si je le suis un peu moins, figurants d’une opération de communication, grince à la sortie de la conférence de presse Éric Coquerel, le président insoumis de la commission des Finances, racontant que même Patrick Martin, président du Medef, a eu cette impression. Ce qui nous a été présenté ce matin n’a aucun rapport avec les slides qui viennent d’être présentés. Cet exercice s’apparente plus à un exercice de propagande que de vérité puisque le tout était de nous dire qu’il y a un ouragan, un cyclone, un tsunami et qu’il importe de continuer la même politique que précédemment en réduisant les dépenses publiques. »

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Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, lâche : « Il n’y a eu aucun dialogue, on a pu s’exprimer deux minutes, il n’y a eu aucune réponse à nos interrogations et à nos interpellations. Et on nous invite à assister à l’opération de com’ du gouvernement. C’est très particulier comme exercice, ça ne s’appelle pas du dialogue. »

Christine Arrighi, députée écolo et secrétaire de la commission des Finances, dénonce aussi cette « opération de communication » : « Le gouvernement tente certainement de rattraper le coup au vu de la commission d’enquête sur le dérapage public en préparant des annonces qui sont, en réalité, déjà sorties dans la presse avant d’être préparées en commission des Finances. Cela montre bien la considération que ce gouvernement a pour le Parlement… »

On est inquiets quand on entend ces ballons d’essai.

M. Léon

En attendant, les ballons d’essai fleurissent. Nouvelle réforme de l’assurance-chômage ? Rabot de toutes les niches fiscales et sociales ? Pérennisation de la contribution différentielle sur les plus hauts revenus ? Économies sur le budget des collectivités ? « On est inquiets quand on entend ces ballons d’essai, ces idées plus saugrenues les unes que les autres », admet Marylise Léon. François Bayrou le promet : les grandes orientations budgétaires seront annoncées avant les vacances de juillet, dans moins de trois mois. Le temps presse.

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