Face au fichage de « Frontières », les collaborateurs parlementaires exigent des mesures concrètes
Après la publication du média d’extrême droite visant plusieurs collaborateurs de députés, une mobilisation inédite s’est tenue à l’Assemblée nationale. Manon Amirshahi, secrétaire générale de la CGT-CP, revient pour Politis sur les dangers que font peser ces pratiques et les revendications portées par les organisations syndicales.

Mercredi 9 avril, un rassemblement s’est tenu dans les jardins de l’Assemblée nationale à l’appel de plusieurs syndicats, dont la CGT des collaborateurs parlementaires (CGT-CP). Cette mobilisation faisait suite à la dernière publication du magazine d’extrême droite Frontières, qui a diffusé les noms et photographies de plusieurs collaborateurs de députés. Une initiative dénoncée par les organisations syndicales comme une tentative d’intimidation et un danger pour la sécurité des personnels parlementaires.
Peu connus du grand public, les collaborateurs jouent pourtant un rôle essentiel dans le fonctionnement quotidien de l’Assemblée. Face à des attaques de plus en plus directes, leur exposition soulève de nombreuses questions : protection juridique, reconnaissance institutionnelle, soutien des employeurs parlementaires.
Le lendemain, plusieurs organisations syndicales, l’Association des collaborateurs insoumis, la CGT-CP, la CFDT, Solidaires, le Collectif Hagrah, l’Unsa et le CCAP, ont publié un communiqué commun. Elles y déplorent l’absence de réponse concrète de la présidente de l’Assemblée nationale face aux risques encourus par les collaborateurs parlementaires, et dénoncent « l’inaction » des institutions, qui exposent davantage les personnels aux menaces et au harcèlement.
Manon Amirshahi, secrétaire générale de la CGT-CP, revient pour Politis sur les raisons de cette mobilisation et les revendications portées par le syndicat.
Comment analysez-vous la publication de Frontières visant plusieurs collaborateurs parlementaires ?
Manon Amirshahi : Ce que fait Frontières ne relève pas du journalisme. Leur publication ne respecte ni les principes d’investigation ni les règles de déontologie journalistique. Nous parlons ici d’un fichage pur et simple. Ils jettent en pâture des noms et des photos de salariés. Contrairement aux méthodes d’enquête des médias surtout indépendants, qui travaillent sur des faits vérifiés, souvent judiciaires, Frontières pratique une forme de stigmatisation politique.
Ils construisent des cartographies, publient des portraits sans aucune justification judiciaire ou professionnelle, et exposent ainsi les personnes concernées à des risques concrets. Ce n’est d’ailleurs pas un cas isolé : Frontières avait déjà, en janvier dernier, publié une liste de noms d’avocats. Demain, ça sera qui ? Ce précédent montre bien que leurs méthodes s’inscrivent dans une stratégie globale d’intimidation. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que ces pratiques sont relayées par des groupuscules d’extrême droite, y compris des milieux néonazis, qui n’hésitent pas à recourir à la violence physique.
Aujourd’hui, en exposant des collaborateurs parlementaires, Frontières les met directement en danger, tant sur les réseaux sociaux que dans l’espace public. Plus largement, si on laisse faire ce genre de pratiques aujourd’hui contre des salariés de parlementaires insoumis, demain, ce sera peut-être contre des collaborateurs écologistes, socialistes, communistes, voire ceux de la majorité présidentielle. Ce sont des méthodes qui visent à installer un climat d’insécurité généralisée.
Votre syndicat a organisé un rassemblement à l’Assemblée pour défendre les collaborateurs parlementaires face aux tentatives d’intimidation publique de Frontières. Quel message vouliez-vous envoyer aux institutions et aux responsables politiques ?
La mobilisation de mercredi a été une réussite incontestable : nous avons rassemblé près de 350 collaborateurs. Ce rassemblement avait une portée symbolique forte : nous voulions montrer que les collaborateurs parlementaires refusent d’être intimidés. L’objectif était aussi de rappeler que les personnes visées sont avant tout des salariés, et non des personnalités publiques. Ce sont des travailleurs, pas des élus ni des figures politiques.
Face aux menaces, nous avons formulé des revendications précises : d’abord, le retrait immédiat de l’accréditation de Frontières pour non-respect des principes de sécurité au travail. Ce média a démontré qu’il constituait une menace concrète pour les collaborateurs et collaboratrices parlementaires.
Refuser d’accréditer un organe de presse, dont les méthodes violent les règles fondamentales de notre sécurité au travail.
Ensuite, nous avons demandé à la présidente de l’Assemblée nationale de garantir la sécurité des personnels, ce qui relève de sa responsabilité institutionnelle. Pourtant, malgré notre demande urgente d’audience en intersyndicale, portée par la CGT-CP, la CFDT, Solidaires, l’UNSA, le Collectif Hagrah, l’Association des collaborateurs insoumis et le CCAP, nous n’avons reçu qu’une réponse partielle, sans engagement sérieux sur nos revendications.
Pire encore, la présidente a laissé entendre que notre mobilisation aurait perturbé le fonctionnement de l’institution, alors même que nous avions tout organisé en lien avec les agents sur place pour ne gêner ni les accès ni les activités parlementaires. Il est très décevant de voir que notre droit de manifester est reconnu tout en refusant d’entendre les raisons de notre mobilisation.
La réponse institutionnelle reste timide face à ce type d’agression médiatique. Selon vous, que devrait faire l’Assemblée nationale pour mieux protéger ses personnels contre les campagnes de fichage et d’intimidation ?
Aujourd’hui, l’Assemblée nationale ne peut plus se contenter de rester passive. Plusieurs mesures urgentes doivent être prises pour assurer la protection des collaborateurs parlementaires. Comme déjà expliqué, nous exigeons le retrait de l’accréditation de Frontières. Il ne s’agit pas ici de censurer un média en raison de ses idées politiques, même si certaines de leurs publications flirtent dangereusement avec l’illégalité, mais de refuser d’accréditer un organe de presse dont les méthodes violent les règles fondamentales de notre sécurité au travail.
Deuxièmement, nous demandons l’extension de la protection fonctionnelle aux collaborateurs parlementaires. Actuellement, seuls les députés en bénéficient pleinement. Lorsqu’un collaborateur est attaqué ou menacé dans l’exercice de ses fonctions, il doit pouvoir être juridiquement soutenu sans dépendre des moyens financiers de son employeur député. Ce serait une mesure simple et juste pour garantir l’égalité entre salariés.
Cette affaire révèle combien les collaborateurs parlementaires sont fragilisés.
Enfin, les députés eux-mêmes doivent prendre leurs responsabilités en tant qu’employeurs. Cela implique, en concertation avec leurs collaborateurs, d’adopter des mesures de protection adaptées : favoriser le télétravail, renforcer les dispositifs de sécurité dans les permanences ou prévoir un accompagnement spécifique en cas de menace.
Plus globalement, cette affaire révèle combien les collaborateurs parlementaires sont fragilisés. Nous cumulons une précarité structurelle, faible reconnaissance institutionnelle, contrats précaires, harcèlement au travail, et désormais une insécurité physique et psychologique nouvelle. La dissolution de l’Assemblée a encore renforcé ce climat anxiogène. Laisser faire aujourd’hui, c’est accepter que des salariés soient durablement exposés à des représailles pour leurs engagements professionnels, politiques ou syndicaux.
Pour aller plus loin…

À la Bourse du Travail à Paris, une journée pour dessiner une « sécurité sociale du logement »

La justice française refuse de livrer le militant antifasciste Gino à la Hongrie

Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »
