Soutenir les victimes de l’extrême droite
Marie Coquille-Chambel revient sur l’inaction des professionnels du secteur culturel et le manque de soutien des personnes directement concernées par les attaques perpétrées par l’extrême droite.
dans l’hebdo N° 1857 Acheter ce numéro

© Thibaud MORITZ / AFP
De la tribune « Vivons-nous dans un pays où l’extrême droite a imposé son influence ? », signée par plus de 250 personnalités en juillet 2023, à la Nuit d’Avignon initiée par Tiago Rodrigues à la suite des élections législatives de 2024 jusqu’à la manifestation de plusieurs syndicats culturels scandant « culture, culture, antifa » ; jusqu’où peut-on parler d’engagement quand la culture institutionnelle peine à se mobiliser pour défendre les luttes antifascistes de terrain, les plus urgentes et les plus concrètes ?
Tandis que les artistes ont su réagir avec force pour défendre le metteur en scène Philippe Brunet accusé de blackface en 2019 et le spectacle Kanata critiqué pour appropriation culturelle, ou pour dénoncer la tentative d’enchaînement du théâtre de La Colline par des féministes qui protestaient contre la présence musicale de Bertrand Cantat au nom de la liberté de création, on observe une forme de désintérêt face aux attaques de plus en plus virulentes de l’extrême droite.
Lorsque celle-ci se réclame de Gramsci pour mener une bataille culturelle idéologique et s’immisce de plus en plus dans les affaires culturelles à l’Assemblée nationale, lorsque le RN prend la main sur le théâtre de l’Escapade à Hénin-Beaumont ou quand des cérémonies fascistes ont lieu dans des théâtres municipaux, on ne peut plus affirmer que l’extrême droite avance masquée – il s’agit d’une stratégie délibérée de conquête des lieux culturels.
On assiste en France à une criminalisation et une répression de l’antifascisme. Il en est de même pour le soutien à la Palestine.
De même, comment comprendre le silence unanime – exception faite de quelques figures du rap – autour de l’expulsion violente de la Gaîté lyrique tandis que le comédien Abou Sangaré est porté aux nues lors de la cérémonie des Césars ? Comment expliquer le désintérêt pour Gino, militant antifasciste qui attend de savoir s’il sera extradé vers la Hongrie pour avoir participé à une manifestation contre un événement de commémoration nazie ? On assiste en France à une criminalisation et une répression de l’antifascisme – dans le but donc d’empêcher ce courant politique d’exister et de mener ses actions. Il en est de même pour le soutien à la Palestine.
Récemment, des drag shows ont été attaqués par des groupuscules radicaux, tout comme une exposition à la basilique de Saint-Denis ou encore le spectacle Stabat Mater par des intégristes catholiques, sans recevoir de soutien massif des institutions et personnalités culturelles. Le peu d’implication pour défendre le secteur culturel souligne l’incapacité de ses acteurs à aller au-delà des luttes le concernant. Les symboles sont aujourd’hui la seule valorisation « militante » du secteur, qui peine à tisser des liens entre les actions de terrain et les réalités politiques concrètes, comme si ces luttes s’arrêtaient aux seuls espaces de fiction et de diffusion d’une pensée antiraciste et antifasciste face à un public.
Le silence et l’absence de soutien sont eux aussi une réponse et une prise de position
Si cette forme de neutralité peut s’expliquer par la crainte de perdre des subventions dans un contexte de coupes budgétaires, que penser de la suite ? À la manière d’Angela Davis qui déclarait qu’il ne suffit pas d’être contre le racisme mais antiraciste, il ne suffit pas de se déclarer antifasciste mais de soutenir celles et ceux qui subissent les attaques de l’extrême droite de plein fouet dans un contexte d’autoritarisme de plus en plus affirmé au niveau gouvernemental. Car oui, le silence et l’absence
de soutien sont eux aussi une réponse et une prise de position témoignant de l’érosion entre art et engagement par l’abandon du politique.
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