La justice française refuse de livrer le militant antifasciste Gino à la Hongrie
Poursuivi pour sa participation présumée à une mobilisation contre l’extrême droite à Budapest en février 2023, Rexhino Abazaj, dit Gino, ne sera pas extradé. La justice française a rejeté la demande hongroise, pointant les risques de traitements inhumains et les atteintes aux droits fondamentaux.

© Maxime Sirvins
Le tribunal judiciaire de Paris a refusé ce mercredi 9 avril 2025 la demande d’extradition visant Rexhino Abazaj, dit Gino, militant antifasciste albanais, poursuivi pour sa participation à une manifestation contre l’extrême droite en Hongrie en février 2023. Une victoire pour la mobilisation, mais aussi un signal politique fort dans un contexte européen de répression croissante.
La tension était palpable dans la salle d’audience, alors que le tribunal rendait très rapidement sa décision : Gino ne sera pas livré aux autorités de Budapest. Il était visé par un mandat d’arrêt européen et risquait une lourde peine dans un pays où l’indépendance de la justice est gravement mise en cause. Gino avait été interpellé en novembre dernier à Montreuil.
Après plusieurs mois de détention et de mobilisation, c’est un soulagement pour le principal intéressé et son comité de soutien. Dès la sortie de la salle d’audience, Gino ne peut cacher son soulagement et son sourire alors que la centaine de ses soutiens l’acclame.
« Aujourd’hui, on a un résultat très positif, on a gagné. Mais la lutte n’est pas terminée, nous devons continuer à lutter, parce qu’il y a beaucoup de travail à faire contre le fascisme », a déclaré Gino, visiblement ému. « On chasse les antifascistes européens, et ça c’est inacceptable. Il y a encore des camarades italiens et allemands qui sont recherchés par le régime d’Orbán. » Avant d’ajouter : « Refuser les demandes et les attaques d’un régime fasciste qui ne respecte pas les droits de l’homme, qui ne respecte pas les droits sociaux et politiques des personnes, c’est fondamental. »
Une arrestation politique
Relâché après plusieurs mois de détention en France, Gino a annoncé qu’il allait pouvoir reprendre sa vie ici : « Je vais rester en France, je vais continuer ma vie, je travaille ici. Dommage que je ne puisse pas retourner en Italie. » Il a aussi appelé à ne pas oublier les autres militants encore poursuivis : « Maja est emprisonnée en Hongrie, et c’est très difficile. Nous devons continuer la solidarité pour Maja, rester à ses côtés. La détention dans les prisons hongroises a été montrée par les juges français comme inhumaine. Ils ont reconnu la possibilité d’un traitement inhumain et d’un procès injuste. Cette victoire aujourd’hui, c’est aussi pour elle. »
L’arrestation de Gino, en novembre 2024, s’inscrit dans une vague de répression transnationale visant plusieurs militants antifascistes européens. À l’époque, les autorités hongroises avaient lancé un mandat d’arrêt européen contre plusieurs militants, les accusant d’avoir participé à des violences lors d’une manifestation à Budapest contre des rassemblements d’extrême droite.
C’est bienvenu dans un moment où la Hongrie s’éloigne chaque jour davantage des règles essentielles de l’État de droit.
Avocats
De nombreuses organisations de défense des droits humains avaient dénoncé une criminalisation des militants dans un contexte de durcissement autoritaire en Hongrie, sous le gouvernement de Viktor Orbán. La justice française a ainsi reconnu les risques encourus par Gino en cas d’extradition, estimant notamment que les garanties d’un procès équitable n’étaient pas réunies.
Victoire politique autant que judiciaire
À la sortie du tribunal, les avocats de Gino ont exprimé leur satisfaction : « On la reçoit avec soulagement et également avec une certaine fierté pour Gino, mais aussi pour l’État de la justice française, confrontée à un mandat d’arrêt européen émanant d’un pays où, de toute évidence, la séparation des pouvoirs n’est plus assurée », ont-ils souligné. « C’est extrêmement bienvenu dans un moment où la Hongrie s’éloigne chaque jour davantage des règles essentielles de l’État de droit. »
Les avocats ont aussi salué la mobilisation qui a accompagné la défense de Gino : « Le dossier de Gino n’a pas été mené seulement par nous, les avocats, mais aussi par tout un comité de soutien. Des personnalités de premier plan sont intervenues, des manifestations ont eu lieu à chaque audience. Le juge l’avait rappelé dès la première audience : il fallait traiter ce dossier pour ce qu’il est, un dossier à caractère politique. »
Dans leur décision, les juges français ont reconnu un risque de traitement inhumain ou dégradant lié aux opinions politiques de Gino, en prenant notamment en compte la situation de Maja, actuellement détenue à Budapest « dans des conditions proches de la torture », selon la défense.
Un signal pour toute l’Europe
Les avocats ont également insisté sur un point décisif : les interventions publiques des autorités hongroises, qui ont présenté Gino et ses camarades comme coupables avant même tout procès. « Ces atteintes répétées à la présomption d’innocence ont pesé lourd dans la décision de la cour », ont-ils expliqué, rappelant que cette reconnaissance pourrait bénéficier aux autres militants visés par des mandats d’arrêt européens pour les mêmes faits.
En refusant d’extrader Gino vers la Hongrie, la justice française envoie un signal fort contre l’instrumentalisation des mandats d’arrêt européens par des régimes autoritaires. Cette décision pourrait faire jurisprudence pour d’autres militants poursuivis à travers l’Europe pour leurs engagements antifascistes. Dans un contexte de répression croissante contre les mouvements sociaux, elle rappelle l’importance de la solidarité transnationale et de la vigilance face aux dérives autoritaires au sein même de l’Union européenne. En sortant, le poing levé de Gino rappelle qu’en effet, la lutte continue.
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