« Belonging », appartenir à une famille

Avec son dernier album, le saxophoniste Branford Marsalis laisse s’exprimer la fougue de son quartet.

Pauline Guedj  • 9 avril 2025 abonné·es
« Belonging », appartenir à une famille
Le Branford Marsalis Quartet au festival de jazz de Gand, en Belgique, le 14 juillet 2023.
© NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / Belga via AFP

Belonging / Branford Marsalis Quartet / Blue Note Records.

À La Nouvelle-Orléans, le jazz est une histoire de famille. Parmi les habitants de la ville s’imposent des dynasties : les Neville, dont est issu le groupe de soul Neville Brothers ; les Andrews, pour Trombone Shorty ; les Batiste et son célèbre pianiste, Jon ; les Marsalis, dont deux des fils ont exercé une influence cruciale sur l’histoire du jazz et de la musique en général depuis les années 1980. Chez les Marsalis, il y a d’abord le père, Ellis, pianiste ; puis viennent des frères, Jason, batteur, Delfeayo, tromboniste, Wynton, trompettiste, et Branford, l’aîné, saxophoniste, dont le superbe album Belonging est sorti le 28 mars.

« Chez les Marsalis, la musique était là tout le temps », explique Branford, et, s’il a un temps envisagé de devenir professeur d’histoire, un séjour à New York avec Wynton le remettra à jamais dans le droit chemin. Les débuts de carrière des deux frères sont indissociables et ceux-ci échangent constamment. Un même engouement pour les Jazz Messengers, groupe du batteur Art Blakey qu’ils intègrent tous deux. Une même réflexion théorique sur les racines et l’avenir du jazz.

Branford s’impose comme le plus éclectique des Marsalis.

Toutefois, si Wynton gagne rapidement la réputation de chantre du jazz traditionnel – il est aujourd’hui directeur du prestigieux Jazz at Lincoln Center de New York –, Branford s’impose lui comme le plus éclectique des Marsalis, à même de prêter son son à des stars de la pop music (Sting), du rap (Public Enemy) ou de la soul (Terence Trent D’Arby), d’être pionnier dans des ­explorations hybrides entre jazz et hip-hop – son groupe Buckshot LeFonque entre 1994 et 1997 – et de produire au sein de son quartet un hard bop exigeant où s’impose son talent d’improvisateur, au ténor comme au soprano.

Belonging Branford Marsalis

Le Branford Marsalis Quartet a connu au fil du temps des transitions progressives qui lui ont permis de maintenir une certaine continuité dans son approche. Dans les années 1980 et au début des années 1990, Robert Hurst est à la contrebasse, l’explosif Jeff « Tain » Watts à la batterie, et Kenny Kirkland au piano. Puis arrive Eric Revis à la contrebasse en 1996, Joey Calderazzo remplace Kenny Kirkland au piano après son décès, et Justin Faulkner rejoint le groupe en tant que batteur en 2009.

Expériences euphorisantes

En plusieurs décennies, le Branford Marsalis Quartet se révèle dans des albums aux répertoires soignés – Royal Garden Blues, Crazy People Music, I Heard You Twice The First Time ou Requiem – et des concerts, expériences euphorisantes, avec en point d’orgue en France les prestations du saxophoniste au New Morning de Paris ou au festival de jazz de Nice. Pendant les concerts, chaque représentant du groupe dialogue et finit les phrases de son voisin, s’amuse, titille l’autre avec humour et améliore son jeu personnel grâce au collectif.

L’album impressionne pour l’exceptionnelle capacité d’interaction de ses musiciens.

Premier enregistrement du Branford Marsalis Quartet pour le label Blue Note, Belonging rend compte d’un même climat, et l’album impressionne surtout pour l’exceptionnelle capacité d’interaction de ses musiciens. Branford Marsalis y continue son exploration d’albums classiques de l’histoire du jazz, comme il l’avait fait avec A Love Supreme de John Coltrane, reprenant cette fois-ci un disque publié par le quartet européen du pianiste Keith Jarrett, en 1974. Les morceaux sont plus longs que dans la version originale et, si leur interprétation reste fidèle aux structures du disque de Jarrett, elle n’empêche pas chaque membre du groupe de laisser tourner son inspiration et de s’accorder des solos inspirés.

Au long du disque, Joey Calderazzo, à qui revient la lourde tâche d’incarner Keith Jarrett, s’impose à nouveau comme l’un des pianistes les plus doués de sa génération, parfois fougueux, parfois romantique, et Marsalis insuffle aux compositions originales des relents de sa Nouvelle-Orléans natale – basse funky, chants évoquant les fêtes de la ville, rythmiques presque africanisantes. Après six ans d’absence, le Branford Marsalis Quartet n’a rien perdu de sa joie communicative. Des concerts sont à venir. On a hâte.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Musique
Temps de lecture : 4 minutes