Marine Tondelier, combattante de l’unité

La secrétaire nationale des Écologistes devrait sans aucun doute être réélue à la tête de son parti. Propulsée au premier plan depuis les législatives anticipées de 2024, elle compte bien continuer à interpeller toutes les chapelles de la gauche pour recréer l’union avant 2027.

Lucas Sarafian  • 9 avril 2025 abonné·es
Marine Tondelier, combattante de l’unité
Marine Tondelier, avec des élus et des membres des Écologistes, lors du rassemblement contre l'extrême droite, à Paris, le 6 avril 2025.
© Maxime Sirvins

Encore au front. À quelques mètres du monument à la République, Marine Tondelier, micro à la main et sans notes, attaque Marine Le Pen, cette « héritière » née à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et condamnée en première instance, le 31 mars, à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire dans le procès des assistants fictifs du Rassemblement national (RN). Ce dimanche 6 avril, sous un soleil de plomb, la secrétaire nationale des Écologistes mène la fronde contre la mobilisation des marinistes qui organisent leur riposte place ­Vauban, au pied de l’hôtel des Invalides. L’écolo cible la « défense complètement complotiste » de Marine Le Pen, les « leçons d’anticorruption » hypocrites du RN et la stratégie de dédiabolisation menée depuis des années par le parti.

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Face à l’extrême droite, Marine Tondelier n’est jamais aux abonnés absents. Ferme opposante à Steeve Briois à Hénin-Beaumont, la native du Pas-de-Calais a affronté Marine Le Pen aux législatives de 2012, 2017 et 2022. Conseillère municipale dans cette commune depuis 2014, l’écolo a fait de son engagement anti-RN sa colonne vertébrale idéologique.

Elle arrive à embarquer derrière elle.

B. Badouard

« C’est une femme courage. Elle pourrait, en tant que cheffe de parti, revendiquer un territoire un peu plus consensuel. Mais elle ne le fait pas : elle reste à Hénin-Beaumont face à Steeve Briois, souligne Patrick Kanner, chef de file des socialistes au Sénat et élu du Nord. C’est une militante exceptionnelle. Elle a soutenu des candidats dans des circonscriptions difficiles. Elle a mouillé la chemise… ou plutôt la veste verte. » « Elle arrive à embarquer derrière elle, car elle a envie de militer dans la joie dans ce contexte politique dur où le fascisme progresse partout », selon Benjamin Badouard, membre de l’exécutif des Écologistes.

Instinct de survie

Dans son bureau, au premier étage du siège des Écologistes, près de la gare de l’Est, où elle reçoit Politis le 1er avril, Marine Tondelier, 38 ans, s’exprime à un rythme de mitraillette, tutoie facilement, enchaîne les punchlines, distribue quelques scuds. Cette enfant du bassin minier du Pas-de-Calais, un «territoire où, le jour de sa naissance, on a cinq ans d’espérance de vie de moins qu’un Parisien », semble être préparée au combat. Avec en ligne de mire l’extrême droite. Toujours.

La biodiversité en politique, c’est important.

M. Tondelier

« Si on se met en travers de leur passage, ils tapent comme des sourds. Ils sont d’une grande brutalité mais leurs scores progressent. Donc beaucoup de gens susceptibles de s’opposer à eux ont adapté leur comportement, ils ont intériorisé la brutalité du RN et le risque qu’on prend quand on entre dans la mêlée. J’ai tellement vécu ces situations, je ne m’arrêterai pas. »

Devant l’irrésistible ascension mariniste, Marine Tondelier a un problème : la gauche ne pense pas comme elle. ­Défenseuse acharnée de l’unité, celle qui a travaillé auprès de Cécile Duflot entre 2015 et 2017 regrette l’état de désunion de son camp. « Il faut se montrer à la hauteur, arrêter le bras de fer d’hégémonie entre les uns et les autres. Tout faire pour que les socialistes deviennent insoumis ou l’inverse n’a absolument aucun intérêt. En plus, ça n’arrivera pas, tout le monde le sait. La biodiversité en politique, c’est important, lâche-t-elle. On a la responsabilité collective de se remettre autour de la table et d’avancer. Et si quelqu’un ne veut pas venir, les autres avanceront sans lui. »

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Après l’onde de choc de la dissolution, l’ancienne porte-parole de Yannick Jadot à la présidentielle de 2022 n’hésite pas une seconde : elle passe la nuit du 9 juin au téléphone et convainc tout le monde de se retrouver au siège des Écologistes. La mission est loin d’être simple car, pendant la campagne des européennes, socialistes, communistes, écologistes et insoumis n’ont eu de cesse de se tirer dans les pattes. Qu’importe. La patronne des Verts le sait : seule l’union des gauches empêchera l’accession de l’extrême droite au pouvoir.

Quand tu as passé dix ans à t’opposer au RN, à te faire insulter et crier dessus, tu sais quel est ton combat.

M. Tondelier

« Quand tu as passé dix ans à t’opposer au RN, à te faire insulter et crier dessus, tu sais quel est ton combat. J’ai l’impression que beaucoup de politiques jouent avec le feu. A-t-on vraiment le temps ? Les binationaux, les LGBT, les femmes, les associations de défense des droits humains ou les défenseurs de la nature… Ils savent ce qui pourrait leur arriver si l’extrême droite était au pouvoir. Pour moi, c’était une sorte d’instinct de survie. Il fallait le faire, on devait le faire, donc on l’a fait.»

Marine Tondelier
« Je vais continuer à interpeller toute la gauche, je vais être pénible. Il faut être dans le match, jouer chaque ballon parce que c’est le match de notre vie. » Marine Tondelier, à Paris, le 6 avril 2025, lors du rassemblement contre l’extrême droite. (Photo : Maxime Sirvins.)

Depuis la campagne des législatives, il y a dix mois, son discours cash et sa veste verte se sont imposés dans le ­paysage politico-médiatique. L’écologie politique vient-elle de trouver l’incarnation qu’elle attendait depuis si longtemps ? Le crash électoral de son parti aux européennes (5,5 %) – où elle avait plaidé pour l’autonomie des écologistes contre l’union – semble oublié. Certains l’imaginent même devenir la candidate du Nouveau Front populaire (NFP) à Matignon. Depuis, l’histoire a été racontée de nombreuses fois : la gauche n’a pas été appelée par Emmanuel Macron, Michel Barnier a été censuré, François Bayrou a réussi à négocier un sursis budgétaire et la gauche s’est enferrée dans les divisions.

Combat de coqs

Aujourd’hui, cette supportrice du RC Lens qui se rend au stade Bollaert plusieurs fois par saison n’a plus le temps d’attendre la fin des combats de coqs. « Quand, à gauche, le nombre de candidatures à la présidentielle commence à ressembler au métro aux heures de pointe, c’est désespérant. L’incarnation est une question, mais ce n’est pas le premier des sujets. Quand parlerons-nous du projet que nous voulons défendre pour battre l’extrême droite ? Le débat est pollué par la question de l’incarnation, on n’a donc pas compris pourquoi on était là. »

Marine Tondelier est très douée. Mais elle semble toujours dire la même chose.

Depuis des semaines, celle qui a adhéré aux Verts en 2009, après avoir assisté à un meeting de José Bové, d’Eva Joly et de Cécile Duflot en pleine campagne des européennes à Lille, tente de trouver des chemins pour sortir la gauche de l’enlisement. À la fin de l’année 2024, elle a lancé l’initiative « Gagnons ensemble » avec Lucie Castets. Un appel dans lequel elle pousse les forces de gauche à travailler en vue de trouver un candidat commun pour la prochaine présidentielle. Mais l’initiative est passée sous les radars.

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Sa ligne unitaire crispe certains écolos qui lui reprochent de négliger l’identité écologiste. « On a beaucoup entendu qu’on était le point de rencontre entre les insoumis et les socialistes, on a fait en sorte d’être les rassembleurs de la gauche. C’est très bien. Mais il ne faut pas oublier qu’on doit aussi défendre notre ligne politique », considère Guillaume Gontard, patron du groupe écolo au Sénat. Mais Marine Tondelier ne se gêne pas pour critiquer la dernière sortie de Fabien Roussel sur le « racisme anti-Blancs », ne voit pas d’un bon œil ce « retour au hollandisme » au sein du PS et se vante même de quelques récentes victoires vertes : le texte contre l’usage des Pfas, définitivement adopté au Parlement, et la taxe Zucman, votée en première lecture à l’Assemblée.

Incontestable

Du côté des socialistes, cette stratégie du trait d’union en exaspère certains. « Marine Tondelier est très douée. Mais elle semble toujours dire la même chose : ‘Venez tous et tenons-nous la main !’ Il faudrait trancher parfois », estime un cadre du parti à la rose. Quant aux insoumis, ils espèrent que les écolos pencheront vers la ligne mélenchoniste à la prochaine présidentielle. « Pour 2027, travailler avec les écologistes semble naturel. Je ne suis pas certain que les Verts aient vraiment envie de défendre une candidature issue de la vieille social-démocratie », suppose un proche de Jean-Luc Mélenchon.

J’aimerais que tout le monde oublie de réfléchir à la petite part de marché électoral que chacun peut avoir.

M. Tondelier

Au sein de son propre parti, les opposants minoritaires qui rêvent de prendre sa place lui reprochent de ne pas jouer le jeu de la démocratie interne. Mais personne ne peut faire le poids face à celle qui a éteint le match entre Yannick Jadot et Sandrine Rousseau au congrès de son parti en 2022. « Marine Tondelier est incontestable. Elle a réussi à incarner les Écologistes, elle a une aura médiatique, elle a su porter quelque chose, elle a un soutien des adhérents extrêmement fort », juge une proche de la secrétaire nationale.

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Tondelier balaye toutes ces tentatives de divisions : « Je peux vivre beaucoup de brutalité face au RN, je me suis forgé une carapace. Pour moi, les Verts ont toujours été un refuge, une base arrière où on se donne de la force pour retourner au combat. Ceux qui se complaisent dans ces luttes internes n’ont pas forcément eu des combats politiques aussi durs que les miens. »

Parfois citée pour être une candidate de la gauche unie à la présidentielle de 2027, celle qui dit ne pas avoir l’impression d’appartenir à ce monde politico-médiatique veut surtout être « utile » à la gauche. « Mon objectif principal, c’est qu’on gagne. Et j’aimerais que tout le monde ait ce même objectif, oublie de réfléchir à la petite part de marché électoral que chacun peut avoir, expose la patronne des Verts. Donc je vais continuer à interpeller toute la gauche, je vais être pénible. Il faut être dans le match, jouer chaque ballon parce que c’est le match de notre vie. » Ce 6 avril, alors que les derniers manifestants quittent la place de la République, le RC Lens bat Saint-Étienne. Signe du destin ?

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