Inéligibilité pour Marine Le Pen : séisme extrême

La prochaine aventure présidentielle de la cheffe de file du Rassemblement national est compromise. La décision juridique du 31 mars dévitalise le parti mariniste, questionnant le rôle de Jordan Bardella et forçant la gauche à se mettre en ordre de marche pour 2027.

Lucas Sarafian  • 1 avril 2025 abonné·es
Inéligibilité pour Marine Le Pen : séisme extrême
Le 31 mars, au soir même de sa condamnation, Marine Le Pen était l’invitée du Journal de 20 heures de TF1.
© Laurent Caron / Hans Lucas / AFP

La sentence sonne comme une déflagration. À 12 h 47 ce lundi 31 mars, Bénédicte de Perthuis, la présidente du procès, prononce la condamnation de Marine Le Pen, jugée pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants européens du Rassemblement national (RN). La candidate naturelle du parti d’extrême droite en vue de la prochaine présidentielle est condamnée à quatre ans de prison, dont deux ferme, 100 000 euros d’amende et, surtout, cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire pour « détournement de fonds publics et complicité de détournement de fonds publics par instigation ». Traduction : elle ne pourra pas se présenter à la présidentielle, à moins d’une décision favorable en appel ou en cassation avant le printemps 2027. L’agenda est serré, son avenir politique semble s’éteindre.

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Coup de tonnerre au sein du RN. À la mi-journée, réunion de crise au siège du parti à la flamme, dans le 16e arrondissement de Paris, porte de Saint-Cloud. Le conclave doit répondre à une question épineuse : et maintenant, que faire ? La formation mariniste n’avait pas prévu l’hypothèse de l’inéligibilité de sa championne. Marine Le Pen elle-même ne l’avait pas envisagé. La veille, dans La Tribune dimanche, elle se montrait sereine : « Je lis ici et là que nous serions fébriles. Personnellement, je ne le suis pas, mais je comprends qu’on puisse l’être : avec l’exécution provisoire, les juges ont un droit de vie ou de mort sur notre mouvement. Mais je ne crois pas qu’ils iront jusque-là. » Pari perdu.

Pendant cette longue après-midi du 31 mars, silence radio du côté de la direction du parti. À l’Assemblée, quelques députés tentent toutefois de réagir au cataclysme. « C’est un coup dur contre la démocratie. C’est une régression sans précédent, dans notre pays, de l’État de droit puisqu’on prive la principale opposante de se présenter à l’élection présidentielle. Elle était donnée à 34 ou 37 % d’intentions de vote pour l’élection présidentielle, c’est un recul extrêmement inquiétant de l’État de droit et de la démocratie », estime le député RN Philippe Ballard.

C’est un coup d’État institutionnel sans précédent sous la Ve République.

F. Falcon

Alors que l’Assemblée est en plein débat sur le narcotrafic, le député RN Frédéric Falcon se permet, à la tribune, d’attaquer lourdement le « système politico-judiciaire », faisant le procès d’une supposée « justice politique ». « La démocratie en France est menacée. Après la fermeture de deux chaînes de télévision, après la condamnation d’un ancien président de la République à des peines plus lourdes que celles infligées à certains trafiquants de drogue, le système politico-judiciaire empêche désormais la principale opposante à Emmanuel Macron d’accéder à la présidence de la République, développe l’élu. Alors que Marine Le Pen est créditée de près de 37 % des intentions de vote, un record absolu jamais égalé par aucun candidat à la présidentielle depuis François Mitterrand, les juges politiques ont décidé de l’empêcher de concourir à l’élection présidentielle de 2027. C’est un coup d’État institutionnel sans précédent sous la Ve République. »

Victimisation et transmission

La défense mariniste dépeint une candidate victime d’une justice politique, ciblée par des institutions dévouées à la seule mission de faire tomber la seule opposante capable de remettre en cause la politique d’Emmanuel Macron. Un argumentaire aux accents complotistes repris par l’intéressée, invitée au JT de 20 heures de TF1, ce 31 mars.

« La magistrate a assumé très clairement de mettre en œuvre l’exécution provisoire de l’inéligibilité, c’est-à-dire de rendre mon appel inutile sur le sujet, pour m’empêcher de me présenter et d’être élue à l’élection présidentielle. C’est donc une décision politique », considère-t-elle, se posant en victime. Ce raisonnement, prévisible, révèle l’impréparation de son parti face à cette éventualité juridique. Il pourrait toutefois consolider la position antisystème de la députée du Pas-de-Calais et de ses troupes.

Ce discours victimaire pourrait-il paradoxalement donner de la force à Jordan Bardella, successeur tout désigné de Marine Le Pen ? S’il jouit d’une très forte popularité dans l’opinion, l’eurodéputé et président du parti ne fait pas l’unanimité au sein du RN. Entre la ligne souverainiste de Jean-Philippe Tanguy et les plus fidèles marinistes, la ligne pro-business de l’homme qui a porté deux fois la liste du parti aux européennes, largement converti à l’illusion sociale qu’a tenté d’insuffler Marine Le Pen, ne semble pas pouvoir s’imposer aussi facilement. S’il est bien connu par les militants, un décalage idéologique pourrait se faire sentir entre son discours et la base.

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À la tête du parti à la flamme depuis trois ans, l’homme de 29 ans n’est resté que l’ombre de la triple candidate à la présidentielle. Son porte-parole officieux, incapable de se détacher de sa mentore. Pire encore : la dernière campagne qu’il a menée lors des législatives express s’est soldée par un échec. Et le « plan Matignon » que le parti vantait tant n’a été d’aucune efficacité. 

« Jordan Bardella est un atout formidable pour le mouvement, je le dis depuis longtemps. J’espère que nous n’aurons pas à user de cet atout plus tôt qu’il n’est nécessaire. Mais en attendant, je suis combative, je ne vais pas me laisser éliminer ainsi, je vais mener les voies de recours que je peux. Il y a un petit chemin : il est certes étroit, mais il existe. Je vais demander de la manière la plus claire qui soit que la décision d’appel intervienne, me permettant d’envisager une candidature à l’élection présidentielle », annonce sur TF1 Marine Le Pen. La transmission n’est pas prévue dans cette formation entièrement consacrée à la future aventure présidentielle de sa cheffe de file.

Ce n’est pas parce qu’il y a ce procès et ce jugement que ça va nous interdire de voter la censure.

P. Ballard

Néanmoins, le profil de Jordan Bardella peut réussir ailleurs, là où Marine Le Pen a échoué : être un accélérateur de l’union des droites. Sa ligne économique pourrait agréger les électeurs traditionnels des Républicains (LR) et les conservateurs séduits par les positions de l’actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Celui qui a tant défendu l’alliance entre toutes les droites pourrait bien provoquer la réunion de tous ces courants de la droite réactionnaire et pro-entreprises autour d’un même bloc patriotique et libéral. En clair, son profil ne permettrait pas la consolidation de l’électorat mariniste mais l’élargissement de l’électorat de cette extrême droite qui s’est maintes fois heurtée à son plafond de verre. Tectonique des plaques à venir ?

Pour le moment, cette décision de justice dévitalise ce parti qui menaçait récemment le gouvernement de censure. Tous les yeux sont désormais rivés sur les recours juridiques possibles de Marine Le Pen. Procès en appel ? Recours devant la Cour de cassation ? Dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité ? Politiquement, le RN sort décrédibilisé par cette sentence, incapable de prendre la moindre initiative politique.

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« Ce n’est pas parce qu’il y a ce procès et ce jugement que ça va nous interdire de voter la censure. La seule chose qui nous guide est l’intérêt de la France et des Français. Donc il se peut très bien que dans les jours, les semaines ou les mois qui viennent, nous censurions le gouvernement de Monsieur Bayrou », promet néanmoins Philippe Ballard. Pour riposter, les troupes marinistes feront campagne dans les prochains jours, Jordan Bardella ayant appelé à une mobilisation « populaire et pacifique» en soutien à Marine Le Pen.

Prudence à gauche

Est-ce vraiment un cadeau pour la gauche ? « Si Marine Le Pen est déclarée inéligible, ça aura un impact, prédisait il y a deux semaines un cadre insoumis, très proche de Jean-Luc Mélenchon. Jordan Bardella n’est pas très bon. Aux législatives, ça a commencé à se voir dans les débats, il ne maîtrise pas les dossiers. Et depuis, il ne marche pas vraiment sur l’eau. Il ne sait pas trop quoi répondre sur la Russie et l’Ukraine quand il passe dans les médias… En réalité, il apparaît comme bon parce qu’il y a Le Pen derrière.» La France insoumise (LFI) en profite pour justifier l’idée d’un référendum révocatoire, un système permettant aux électeurs de remettre en cause le mandat des élus.

Cette décision de justice prouve que les scénarios écrits à l’avance n’existent pas. Si on est divisés, on sera inaudibles.

B. Lucas

Face à la campagne de communication du RN à venir, le Parti socialiste (PS) tente d’anticiper les choses. Le parti au poing et à la rose défend sa propre pétition. Objectif : appeler à une « mobilisation citoyenne pour défendre et soutenir l’indépendance de la justice » face « aux remises en cause inquiétantes de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs ». « Personne n’est au-dessus des lois. Et ceux qui croient se prévaloir d’une onction de sondage pour s’exonérer du respect de la loi se trompent », considère Emmanuel Grégoire, député et porte-parole du groupe socialiste.

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Malgré cette décision, la gauche n’a pas un boulevard devant elle. « Il ne faut pas que la gauche s’emballe. Le RN aura un candidat à la présidentielle. Ce parti a déjà un dispositif politique autour de son futur candidat, estime le député et porte-parole du groupe Écologiste et social, Benjamin Lucas. Cette décision de justice prouve que les scénarios écrits à l’avance n’existent pas. Si on est divisés, on sera inaudibles, mais on peut être meilleurs, on peut se hisser à la hauteur du moment. » Le message sera-t-il entendu ?

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