À la Bourse du Travail à Paris, une journée pour dessiner une « sécurité sociale du logement »
Le mercredi 9 avril, à l’initiative de la Confédération nationale du logement (CNL), plusieurs acteurs du logement, partis politiques et syndicats ont débattu des pistes pour définir les contours d’une sécurité sociale du logement : encadrement des loyers, lutte contre la spéculation, régulation des résidences secondaires…

© Sameer Al-Doumy / AFP
Le logement. Souvent, le sujet est vu comme technique, parfois barbant. Il ne vient que rarement – si ce n’est jamais – en tête d’affiche d’un débat médiatico-politique, plus friand de jouer sur les peurs. Pourtant, voilà bien un domaine qui concerne tout le monde, dans son quotidien le plus matériel. Cela représente – et de loin – le principal poste de consommation finale des ménages. Et s’il n’intéresse que trop peu, le sujet est d’autant plus important que le secteur connaît une crise majeure.
2,8 millions de personnes attendant aujourd’hui un logement social.
E. Jacquemart
« 2,8 millions de personnes attendant aujourd’hui un logement social », s’alarme Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement (CNL). Hausse de 10 % des loyers en deux ans, record d’expulsions… Le tableau présenté est sombre. « L’état du secteur du logement ne tombe pas du ciel. C’est le bilan des politiques menées par les gouvernements macronistes successifs », tacle Danielle Simonnet, députée du 20e arrondissement de Paris, siégeant au sein du groupe Écologiste et social à l’Assemblée nationale.
Depuis plusieurs années, le logement devient toujours plus un actif spéculatif qu’un droit. Et c’est pour lutter contre cette dynamique néolibérale inquiétante que la CNL a décidé d’organiser une grande journée d’étude, ce 9 avril, à la Bourse du Travail, à Paris.
L’objectif est simple : dessiner, le plus précisément possible, les contours d’une sécurité sociale du logement (SSL), une des grandes revendications de l’organisation. L’idée, pour détailler, est notamment de « créer une caisse de solidarité nationale, financée par des contributions ciblées pour sécuriser durablement le parcours de l’habitant tout en garantissant les bailleurs contre les impayés », détaille Eddie Jacquemart. Une caisse qui serait accompagnée de plusieurs autres dispositifs à définir, comme l’encadrement des loyers, par exemple.
Spéculation et encadrement des loyers
Après avoir posé le constat d’une crise majeure du logement dans la matinée, trois tables rondes aux airs d’audition s’enchaînent au cours de l’après-midi. La volonté est d’entendre un maximum de personnes issues du camp progressiste pour écouter à la fois leurs avis, et leurs propositions. Si ces dernières fusent, et ne se complètent pas forcément au fil des intervenants, une chose est partagée par tous : le logement devrait être un droit, un bien commun.
Et pour cela, de nombreuses personnes reviennent sur la nécessité de lutter contre la spéculation. D’autant plus dans un contexte où 3,5 % des ménages possèdent 50 % du parc privé locatif. En tête de gondole de la lutte contre ce phénomène d’ultra-concentration spéculative, la question de l’encadrement des loyers est longuement évoquée. « Il faut pérenniser les expérimentations et généraliser l’expérience partout sur le territoire », assène Danielle Simonnet.
Iñaki Echaniz, son collègue socialiste des Pyrénées-Atlantiques, abonde, tout en soulevant une autre question : comment faire respecter cet encadrement ? « 43 % des annonces locatives au Pays basque ne respectent pas l’encadrement des loyers », s’inquiète-t-il. « En 1948, il y avait une police des loyers, rappelle Jean-Baptiste Eyraud, président de l’association Droit au logement (DAL) qu’il a créée. Il faut qu’il y ait des services locaux en capacité de contrôler et de sanctionner la fraude au rapport locatif. »
L’encadrement des loyers permet simplement de contenir la crise, pas de développer des logements nouveaux.
J. Herbinski
Malgré tout, comme le note Jocelyne Herbinski, secrétaire confédérale de la CNL, « l’encadrement des loyers permet simplement de contenir la crise, pas de développer des logements nouveaux, notamment sociaux. Il faut aussi maîtriser le foncier ». Cécile Hagmann, assise juste à côté, représente un organisme de foncier solidaire. Pour elle, son organisme ne doit pas concurrencer le logement social, mais, justement, permettre à des personnes d’accéder à un logement sans attendre des années de bénéficier, peut-être, d’un logement social. Le tout, en accédant à la propriété à moindre coût via le bail réel solidaire (BRS). Un bail pour les propriétaires occupants, qui empêche toute spéculation sur le bien.
Réguler les résidences secondaires
Jacques Baudrier, adjoint communiste à la Ville de Paris, en charge du logement, pointe, lui, la nécessité d’avoir assez de logements pour tout le monde. « C’est la première des urgences ! Pour avoir des logements abordables, il faut que les logements existent. » L’élu s’alarme que la croissance des résidences principales soient moins importante que celle des ménages. En 10 ans, il décrit ainsi avoir vu le nombre de demandeurs d’hébergement d’urgence passer de 40 000 à 120 000.
« Le problème ce n’est pas l’existence matérielle des logements. À Paris, on a 300 000 logements vacants et meublés touristiques illégaux. La question de la régulation des résidences secondaires devient plus urgente que jamais », souligne l’adjoint d’Anne Hidalgo, qui assure que la France est un des pays d’Europe avec la fiscalité la plus basse sur les résidences secondaires. « Ce serait à la fois logique socialement, bénéfique pour l’offre de logement et ça rapporterait de l’argent à l’État. Mais par doxa néolibérale, on n’arrive pas à avancer sur cette revendication », déplore Jacques Baudrier.
Donner leur place aux habitants
Outre la lutte contre la spéculation, c’est bien la question de la protection des locataires – voire des habitants au sens large – qui est au centre de la proposition de sécurité sociale du logement. Comme première pierre de la SSL, Eddie Jacquemart, après avoir écouté Danielle Simonnet, évoque la possibilité de réessayer d’instaurer la garantie universelle des loyers. Une aide sociale aux locataires en difficulté, garantie que la députée parisienne propose de financer par une contribution des bailleurs de 2 % des revenus locatifs.
La sécurité sociale du logement serait un moyen d’instaurer une instance partagée par tous et connue de tous.
N. Guillemot
Mais l’ambition de la sécurité sociale du logement est plus large avec aussi une gestion qui donne toute leur place aux habitants dans la politique du logement. « Aujourd’hui, les jeunes subissent les politiques du logement sans avoir l’impression de pouvoir y participer. La sécurité sociale du logement serait un moyen d’instaurer une instance partagée par tous et connue de tous », note Nathan Guillemot, représentant de l’Union étudiante.
Initiative nationale et manifeste
Même constat du côté de la FSU : « Beaucoup d’instances, de corps intermédiaires ont été dévitalisées voire ont disparu ces dernières années. Or, pour avoir un service public du logement de qualité, il faut avoir des instances et des corps intermédiaires de qualité », souligne Benoît Teste, ancien numéro 1 du syndicat de la fonction publique.
La question du financement de tous ces dispositifs pour mieux réguler le secteur du logement et « créer un service public du logement qui l’emporte sur le privé » – pour reprendre les mots d’Eddie Jacquemart – est d’ailleurs un des fils rouges de toutes les interventions. Parmi les propositions, l’instauration d’une taxe progressive sur la rente locative en fonction du nombre de propriétés. La création d’impôts locaux spécifiques, ciblés sur la question du logement, captation de la plus-value sur des biens que la puissance publique a permis de rendre attractifs, mutualiser les dépôts de garantie des locataires, etc.
On a un plan de travail, on veut cette sécurité sociale du logement !
E. Jacquemart
Les idées ne manquent pas et permettent de conclure cette journée d’étude avec de nombreuses pistes à creuser pour que ce projet de sécurité sociale du logement se précise davantage. Prochaine étape : une initiative nationale sur la SSL le 20 juin, avec la volonté d’y intégrer le plus de monde possible. L’objectif est simple : avoir un manifeste avec des propositions claires, précises et financées pour les élections municipales courant 2026 et inspirer les parlementaires. Eddie Jacquemart conclut, déterminé : « On a un plan de travail, on veut cette sécurité sociale du logement ! »
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