Les « journalistes » de « Frontières » sont-ils vraiment journalistes ?
Des salariés du trimestriel d’extrême droite ont été pris à partie à l’Assemblée, suite à la diffusion d’informations de plusieurs collaborateurs de députés. Ce média ne se fixe aucun limite déontologique journalistique, la question se pose de comment les qualifier.
dans l’hebdo N° 1858 Acheter ce numéro

Les images ont tourné cette semaine sur les réseaux sociaux, puis au sein des médias de l’empire Bolloré. Plusieurs employé·es du média d’extrême droite Frontières dans un jardin de l’Assemblée nationale, entouré·es par des collaborateurs et collaboratrices parlementaires de gauche, hostiles à leur égard. Ces dernier·es s’étaient réuni·es là, ce mercredi 9 avril, pour protester – justement – contre la publication le même jour du dernier opus du trimestriel Frontières.
Pourquoi ? Dedans figure notamment une cartographie des collaboratrices et collaborateurs de LFI. Une partie du groupe, syndiqué·e à la CGT CP, s’en étaient ému·e la veille. « Au prétexte d’un travail d’investigation sur les collaborateurs de députés de La France insoumise, Frontières rend public de nombreuses données personnelles et confidentielles en renseignant leurs identités (…) Autant d’informations qui pourraient demain être utilisées par des groupuscules néonazis afin de cibler les salariés concernés. »
Exfiltré·es de l’Assemblée nationale, les salarié·s de Frontières ont ensuite fait leur miel de ces images – précisément celles qu’ils étaient venus chercher – sur leurs réseaux, et sur les plateaux Bolloré, où la même musique a résonné toute la semaine : Frontières dérange, regardez la véritable violence est à gauche, la police de la pensée a encore frappé, imaginez si l’on avait fait la même chose à des journalistes de gauche ? Provocation, puis victimisation : un procédé particulièrement redoutable quand on dispose d’une telle caisse de résonance médiatique.
Aucune limite déontologique
En attendant de savoir si Frontières conservera ses accréditations presse au sein de l’Assemblée nationale – Yaël Braun-Pivet a publié un premier communiqué à ce sujet – une question se pose : peut-on qualifier les « journalistes » de Frontières de journalistes ? Pour l’heure, c’est en tout cas comme ça que le Monde, l’AFP, Libé ou Franceinfo.fr, qui se sont tous penchés cette semaine sur la polémique, les appellent. Ce n’est pas étonnant : déterminer ce qui relève ou non du journalisme, et de la fiabilité d’une information, est souvent un puits sans fond, et il n’est pas certain – sur ce sujet en particulier – qu’il incombe aux journalistes de trier le bon grain de l’ivraie.
Pourtant, la question semble bien se poser, au regard du travail et des méthodes de ce média, autrefois baptisé Livre Noir (qui avait suivi, avec très peu de recul journalistique, la campagne d’Eric Zemmour en 2022). Frontières ne semble, en effet, s’embarrasser d’aucune limite déontologique.
Tout semble permis pour Frontières, dont le directeur Erik Tegnér passe actuellement ses journées sur CNews.
Filmer un député à son domicile privé (Louis Boyard, LFI) sans flouter les environs, permettant ainsi à n’importe qui de connaître son adresse, interviewer le nouveau patron de l’Arcom en caméra cachée, publier de fausses informations sans avoir vérifié au préalable, lister les avocats « coupables » de « l’invasion migratoire », et désormais donc, lister les données personnelles et confidentielles de nombreux collaborateurs parlementaires d’un parti : tout semble permis pour Frontières, dont le directeur Erik Tegnér, visé depuis janvier 2025 par une plainte pour agression sexuelle et harcèlement moral, passe actuellement ses journées sur CNews. Tout, sauf une chose : dire du mal de l’extrême droite.
Un journaliste est-il journaliste quand il n’enquête qu’à charge, et presque jamais à décharge ? Quand sa vision du monde l’emporte sur les faits ? Quand il promène sa bonnette rouge dans toutes les manifestations de gauche, pour ensuite mieux se victimiser ? La mise en orbite de Frontières dans notre système médiatique pose ces questions, et moi-même ne suis pas certain de la réponse. Je note tout de même n’avoir pas réussi à écrire une seule fois, dans cette chronique, « les journalistes de Frontières ».
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