Une aide-soignante en Ehpad, qui dénonçait ses conditions de travail, licenciée 3 fois en 6 mois
Astrid, aide-soignante à la Villa d’Avril, un Ehpad de Saint-Avold (Moselle), dit subir un « harcèlement moral » de la part de la direction de l’établissement, qu’elle accuse de vouloir la faire taire alors qu’elle alertait sur un sous-effectif chronique.

Astrid a-t-elle été licenciée parce qu’elle dénonçait ses conditions de travail ? Voilà la réponse à laquelle devra répondre le juge professionnel des prud’hommes de Forbach (Moselle), ce lundi 14 avril. Pour l’aide-soignante de 59 ans, cela ne fait aucun doute. « Je commençais à déranger donc ils ont trouvé quelque chose pour me mettre dehors », souffle-t-elle. Cela fait huit mois que sa vie a basculé dans un contentieux qui s’éternise où elle a été licenciée à trois reprises en l’espace de six mois.
Mais comment cela est-il possible ? Rembobinons. En septembre 2021, Astrid est embauchée comme aide-soignante au sein de La Villa d’Avril, un Ehpad appartenant au groupe Colisée. Moins d’un an plus tard, elle obtient un CDI dans cet établissement. Tout se passe alors bien, ses entretiens annuels sont très bons et elle aime son travail. « On est une super équipe », note-t-elle.
On devait faire le travail de deux voire trois personnes.
Astrid
À partir de septembre 2023, cependant, l’aide-soignante remarque une importante dégradation des conditions de travail. Notamment un sous-effectif chronique, qui empêche une prise en charge adaptée et décente des résidents. « Avec la CGT, on a alerté que certains aînés n’avaient pas été changés. Les personnels absents n’étaient pas remplacés. On devait faire le travail de deux voire trois personnes. Cela ne permet pas une bonne prise en charge des résidents », raconte-t-elle.
Ces situations s’accumulant, elle décide d’alerter sa direction. À plusieurs reprises, elle envoie donc des mails, avec une élue membre du comité social et économique (CSE), à ses supérieurs. « Ce matin […] j’ai remarqué qu’aucun résident n’a été changé la nuit. Les résidents sont donc souillés de la tête aux pieds, frigorifiés. Cette négligence m’oblige à faire double travail. […] Il est compliqué pour moi de continuer à travailler dans de telles conditions. Je vous remercie de prendre en compte mon mail », écrit-elle, par exemple.
Salariée protégée
Finalement, pour avoir davantage de prise sur ces conditions de travail, Astrid décide de se présenter pour être élue représentante de proximité au sein de son établissement. On est le 1er août 2024. Huit jours plus tard, elle est convoquée à un entretien préalable au licenciement, pour faute grave. L’entreprise reproche à l’aide-soignante une négligence dans la prise en charge d’une résidente.
Deux versions s’opposent alors : l’établissement soutient que l’aide-soignante n’aurait pas bien pris en charge une résidente qui aurait chuté et se serait blessée au genou. L’aide-soignante conteste fermement cette version, assurant que l’aînée ne présentait pas de blessures après son « affaissement » et que la fracture aurait eu lieu dans la nuit.
Surtout, outre cette opposition factuelle, l’entreprise se place alors dans l’illégalité. En effet, Astrid étant candidate pour devenir représentante de proximité, elle bénéficie, selon le Code du travail, du statut de salariée protégée pour six mois. Or, l’établissement passe outre et ne demande pas l’autorisation de la licencier à l’inspection du travail – une obligation, pourtant. De fait, son licenciement est donc considéré comme nul.
Fruit du hasard ou petite magouille, l’entreprise la réintègre 3 jours après les élections des représentants de proximité. Interrogée à ce propos comme sur l’ensemble des éléments de cet article, la direction de la Villa d’Avril n’a pas souhaité faire de commentaires. « Le dossier est en cours de traitement par la justice et afin de respecter la procédure, nous ne nous exprimerons pas pour le moment. »
Acharnement
Astrid n’est alors pas au bout de ses peines. Six jours après sa réintégration, l’aide-soignante est de nouveau convoquée à un entretien préalable au licenciement, pour les mêmes raisons. Un licenciement auquel s’oppose le CSE. Cette fois, la société n’oublie pas de faire appel à l’inspection du travail.
L’administration mène alors une enquête et rend sa décision fin décembre 2024 : le licenciement d’Astrid est refusé. L’inspection du travail juge qu’aucun des griefs soulevé par l’établissement n’est établi. Fin de l’histoire ? Pas vraiment. L’Ehpad décide d’engager un recours auprès du ministère du Travail, et refuse de réintégrer la salariée. « Je pensais retourner au boulot, mais ça ne s’est pas passé comme prévu », confie l’aide-soignante, qui conteste alors cette dispense d’activité et saisit le conseil des prud’hommes.
Je pleure en cachette tous les jours.
Astrid
Une semaine avant l’audience, Astrid reçoit une lettre de la part de son employeur. Elle est mutée à plus de 80 kilomètres de chez elle. « 160 kilomètres d’allers-retours, cinq fois par semaine, sans voiture de fonction ni paiement des frais kilométriques. C’est tout bonnement impossible », souligne celle qui, après près de 20 ans de métier gagne à peine 1 800 euros par mois. En plus de cela, cette mutation est vécue par la salariée comme une sanction et un moyen de l’écarter de ses collègues. Elle décide donc, une nouvelle fois, de contester auprès du même conseil des prud’hommes cette mutation.
Ce qu’elle dénonce comme un « acharnement » commence alors à avoir d’importantes conséquences sur sa santé. « Je ne dors plus. Je suis irritable, pour un oui ou pour un non. Je pleure en cachette tous les jours », confie-t-elle. Son médecin la place en arrêt-maladie. Trois semaines après le début de son arrêt, Astrid reçoit une nouvelle convocation à un entretien préalable au licenciement. Les six mois de son statut de salariée protégée sont terminés. Cette fois, l’entreprise veut la licencier « en raison [d’] absences répétées perturbant le fonctionnement de l’entreprise ».
« Je n’ai presque jamais été absente, j’ai toujours été là. Me dire ça, au bout de trois semaines d’arrêt, j’ai trouvé que c’était particulièrement injuste », s’indigne l’aide-soignante, qui assure que plusieurs de ses collègues ont été absentes bien plus longtemps sans être inquiétées de licenciement. Mais peu importe. Quelques jours plus tard, Astrid reçoit un courrier recommandé l’informant de son (nouveau) licenciement.
Harcèlement moral
Une fois n’est désormais plus coutume, l’aide-soignante conteste cette décision, jugeant que ce licenciement est discriminatoire du fait de son état de santé, directement imputable au « harcèlement moral » qu’elle dénonce. Au vu de la continuité entre les trois saisines du conseil des prud’hommmes de Forbach, ce dernier a décidé de regrouper l’intégralité des demandes de la salariée au cours d’une seule audience qui aura lieu ce lundi 14 avril.
Depuis sa candidature pour être représentante de proximité, Astrid vit l’enfer.
Me R. Bartoli
« Une bonne nouvelle », pour son avocate Romane Bartoli. « Ils ont tout fait pour complexifier la procédure, mais tout cet enchaînement s’inscrit dans une seule et même logique : depuis sa candidature pour être représentante de proximité, Astrid vit l’enfer », affirme-t-elle. Pour elle, cet « acharnement » a comme objectif « d’envoyer un signal aux restes des salariés » dans l’hypothèse où certains d’entre eux « voudraient dénoncer les conditions dans lesquelles ils travaillent ». « C’est une manière de tenter de discipliner tout le monde », analyse-t-elle.
Astrid, elle, attend avec angoisse cette audience. « Je veux montrer que je n’ai rien fait et que j’ai toujours fait mon travail correctement. » L’union locale de la CGT l’accompagne également dans la procédure. L’aide-soignante conclut : « Sans eux et sans mes deux collègues, je n’aurais jamais eu la force de me battre autant. » Mais elle n’a pas baissé les bras, et, en l’attente du jugement, a déjà représenté sa candidature pour être représentante du personnel dans son Ehpad.
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