Une pharaonique autoroute fluviale dans les Hauts-de-France

Les promoteurs du Canal Seine-Nord Europe insistent sur les bienfaits du fret fluvial par rapport au fret routier. Est-ce pour autant un projet vertueux ?

Vanina Delmas  • 28 mai 2025 abonné·es
Une pharaonique autoroute fluviale dans les Hauts-de-France
© Bernd Dittrich / Unsplash

C’est le « chantier du siècle », selon ses promoteurs. Pour ses opposants, il semble appartenir au siècle dernier, notamment sur le plan environnemental. Le projet initial de Canal-Seine-Nord-Europe (CSNE) est pharaonique : créer 107 kilomètres de voie fluviale de grand gabarit entre Compiègne et Aubencheul-au-Bac, au nord de Cambrai. L’objectif est de connecter d’ici à 2030 le bassin-versant de la Seine au réseau fluvial du nord de la France et du Benelux, afin de créer un nouveau corridor européen jusqu’aux grands ports (Le Havre, Dunkerque, Anvers, Rotterdam).

Les promoteurs ont pu récupérer, depuis 2004, les terres des agriculteurs qui partaient à la retraite.

Max

Une ambition qui implique de nombreuses infrastructures nouvelles : six écluses parmi les plus grandes d’Europe, dix quais, quatre ports intérieurs, soixante-deux ponts… soit 78 millions de mètres cubes de terrassement. « Le territoire traversé par le canal est décrit par les bateliers comme un “désert vert”, c’est-à-dire qu’entre les deux grandes villes de Compiègne et de Cambrai il y a quelques petites villes et villages, donc peu d’habitants, mais beaucoup d’agriculteurs. D’ailleurs, cela a aidé le projet, car les promoteurs ont ainsi pu récupérer, depuis 2004, les terres des agriculteurs qui partaient à la retraite, via la Safer, sans que cela ne fasse de remous », décrit Max*, du collectif Méga canal non merci.

*

Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.

Depuis quelques mois, les opposants s’activent, car les travaux préparatoires prennent de l’ampleur, notamment dans le département de l’Oise (terrassement, arrachages d’arbres…). « La première écluse n’est même pas en route alors que ce sont des chantiers importants, le lit du canal n’est pas tracé… À l’échelle du chantier, même pas 1 % des travaux n’est commencé, donc ce n’est pas encore inéluctable », affirme Camille*, du même collectif. Ils s’organisent aussi pour décrypter le discours officiel des promoteurs, qui vantent l’aspect écologique du projet, le fret fluvial étant moins émetteur de gaz à effet de serre (GES) que le fret routier.

« Le canal augmentera le flux routier »

Leur argumentaire : le CSNE permettra la navigation de bateaux grand gabarit pouvant transporter jusqu’à 4 400 tonnes de marchandises chacun, soit l’équivalent de 220 camions, donc « d’acheminer 17 millions de tonnes de marchandises par an et de réduire le trafic routier de 1 million de poids lourds en France ». Selon le contre-argumentaire du Comité de liaison pour des ­alternatives aux canaux interbassins (Clac), « seuls quelques pourcentages des marchandises transportées par trafic routier sont “fluvialisables”, tant sont différents les types de marchandises, les origines et les destinations ».

« Ce n’est pas une dynamique de report modal mais une optimisation des flux pour désengorger certains axes routiers, comme l’A1, et envoyer des camions récupérer les marchandises dans d’autres espaces moins saturés, analyse Max. Finalement, le canal augmentera le flux routier, qui se retrouve aujourd’hui confronté à une limite de saturation. » En outre, l’option du fret ferroviaire, encore moins émetteur de GES, est omise.

Irrégularités

Les craintes des citoyens informés portent également sur la gestion de la biodiversité. Ils estiment que les compensations écologiques obligatoires ne sont pas à la hauteur des 3 000 hectares de zones agricoles détruites et des zones Natura 2000 endommagées. Par exemple, le maître d’ouvrage a prévu de boucher un bras de la rivière de l’Oise, au niveau de Longueil-Annel, pour créer une zone humide. Un procédé qui laisse les naturalistes perplexes.

Sur le même sujet : Dossier : La folie des grandes routes

Deux associations environnementales, Protection du territoire Seine-Escaut et Nord Nature environnement, ont déposé un recours devant le tribunal administratif d’Amiens pour contester l’autorisation environnementale du projet. Elles pointent notamment de nombreuses irrégularités sur la protection de certaines espèces : entre 140 et 160 espèces protégées ou en voie de disparition ont obtenu une dérogation, mais une quarantaine ne seraient pas prises en compte.

En avril dernier, de nouveaux inventaires ont dû être commandés après la découverte de deux espèces protégées sur le tracé : la rainette, aux abords du canal, et la mulette, une moule d’eau douce prélevée à l’endroit où une écluse du projet devrait sortir de terre.

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