« Goodnight Nobody » de Jacqueline Zünd ; « La source des femmes » de Radu Mihaileanu ; « Les Bien-Aimés » de Christophe Honoré ; Pronostics
Les tout derniers jours du festival sont généralement les plus éprouvants. En raison de la fatigue accumulée bien sûr – qui, par exemple, rend moins vigilant et ouvre grand la voie aux erreurs et bizarreries d’écriture : ainsi, dans la chronique d’hier, j’ai allègrement transformé le titre du film de Jafar Panahi, Ceci n’est pas un film en Ceci n’est pas une pipe . Mais, chers lecteurs, ne cherchez pas, l’erreur est maintenant corrigée.
Il n’y a pas que la fatigue, il y a aussi les regrets. De ne pas avoir vu tel ou tel film (mais la frustration est consubstantielle à un tel festival, quand on est dénué du don d’ubiquité). Regrets surtout de ne pas avoir eu le temps de parler de certains films. Comme celui de la programmation de l’Acid, présenté jeudi, Goodnight Nobody (photo ci-dessus), de la Suissesse Jacqueline Zünd. Un joli film qui, sur le papier, était un vrai pari. La cinéaste dresse le portrait croisé de quatre insomniaques aux quatre coins du monde : un Ukrainien, une Américaine, un Burkinabè, et une Chinoise.
Portrait n’est pas le bon mot. La caméra de Jacqueline Zünd les accompagne la nuit, quand les rues sont désertes, les appartements silencieux, les braves gens endormis, tandis que les insomniaques se confient. Ils témoignent de leur désœuvrement (l’Américaine, au volant de sa voiture sans destination), de leur enfance (la Chinoise, les disputes de ses parents n’étant pas étrangères à ses nuits blanches), du sort que leur pays a réservé à leur absence de sommeil (l’Ukrainien, qui fut traité comme un spécimen à exhiber), ou de leurs visions enchantées (le Burkinabè). Ce dernier est le seul à transformer son « infirmité » en espace des possibles. Le seul à être capable de sortir de lui-même, de ce qui enferme les autres dans leur solitude.
Goodnight Nobody est une belle évocation mélancolique de notre monde mondialisé en mode nocturne, où les insomniaques font figure de vigies involontaires, livrés à eux-mêmes par obligation, emplis de leurs rêves éveillés par nécessité.
Une autre raison des fins de festival difficiles : le dernier film de la compétition projeté à la presse le samedi matin est souvent d’une qualité plus que moyenne. Cette année la Source des femmes , de Radu Mihaileanu, n’échappe pas à la règle. Le cinéaste roumain s’est emparé d’un sujet « payant », surtout quand on ne recule pas, comme ici, devant la démagogie : la condition des femmes en pays arabes. Sont dénoncés avant tout les hommes (surtout les plus âgés, traditionalistes) et les intégristes. Un film qui s’avère faussement féministe et qui se termine sur cette phrase d’anthologie : « La source des femmes est l’amour, c’est-à-dire les hommes » .
Puis nous avons eu droit au dernier film de Christophe Honoré, les Bien-aimés , qui sera présenté demain hors compétition en clôture du festival. Impression assez déprimante de ressassement – les Bien-Aimés , avec ses instants chantés, a des allures de copie usée des Chansons d’amour – chez un cinéaste de toute manière tourné vers le passé (Truffaut, Demy…). Histoire peu vraisemblable sur deux générations, Ludivine Sagnier interprétant le personnage de Catherine Deneuve jeune, tandis que Chiara Mastroianni joue la fille de celle-ci. Seuls les moments avec Catherine Deneuve ont l’air vraiment vivants.
La veille du palmarès, c’est aussi le temps des pronostics, beaucoup plus ardus que l’an dernier, où quelques films seulement de la compétition sortaient du lot, et où la rumeur persistante de l’attribution de la palme d’or à Oncle Boonmee, celui qui se souvenait de ses vies antérieures , d’Apichatpong Weerasethakul, s’était transformée en véritable conviction.
Cette année, rien de tel. La compétition s’est, sans surprise, révélée d’un meilleur niveau qu’en 2010, entravée par les effets les plus violents de la crise financière et la coïncidence de films de grands maîtres non prêts. Il semble que les films favoris pour figurer au palmarès sont : Habemus papam de Nanni Moretti – pour un prix d’interprétation à Michel Piccoli ? Ce serait amplement mérité ; The Artist de Michel Hazanavicius, un divertissement original et de bon aloi avec Jean Dujardin ; The Tree of life de Terrence Malick ; Le gamin au vélo des frères Dardenne ; et le Havre d’Aki Kaurismäki, qui n’a jamais obtenu la palme d’or.
Trois autres films apparaissent en outsiders : La piel que habito de Pedro Almodovar, qui lui non plus n’a jamais eu sa palme ; This must be the place de Paulo Sorrentino; et Melancholia de Lars von Trier, mais les dérapages du cinéaste en pleine conférence de presse vont peut-être l’écarter de toute récompense. Sur ce sujet, je souligne l’intelligence des propos de Gilles Jacob, le président du festival, qui distingue l’œuvre de son auteur, comme, je crois, il convient de faire : le conseil d’administration du festival « a tenu à séparer l’œuvre collective des propos inadmissibles tenus par Lars von Trier » , a déclaré Gilles Jacob avant-hier.
Enfin, on parle de Tilda Swinton ( We need to talk about Kevin ) ou de Kirsten Dunst ( Melancholia ) pour le prix d’interprétation féminine.
Mais il y aura très vraisemblablement des surprises.
Voici, en tout cas, mon palmarès tout à fait personnel :
Palme d’or : L’Apollonide de Bertrand Bolleno et/ou le Gamin au vélo des Dardenne.
Grand prix : le Havre d’Aki Kaurismäki.
Prix d’interprétation masculine : Michel Piccoli dans Habemus papam de Nanni Moretti.
Prix d’interprétation féminine : Cécile de France dans le Gamin au vélo , ou les actrices de l’Appolonide .
Prix de la mise en scène : The Artist de Michel Hazanavicius.
Prix du scénario : Hara-Kiri, mort d’un samouraï de Takashi Miike.
Prix du jury : Pater d’Alain Cavalier.
Rendez-vous demain soir pour une ultime chronique sous forme de commentaire rapide du (vrai) palmarès !
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