Au Petit Bard, le calvaire sans fin des locataires
Copropriété surendettée, marasmes de la rénovation urbaine, parc HLM bouché… A Montpellier, le quartier du Petit Bard collectionne les galères de logement. Reportage. [3ème étape de notre tour de France des quartiers]
Les investissements du programme national de rénovation urbaine (114 millions d’euros) ont enfin atteint les façades décrépies du Petit Bard. Digicodes neufs, carrelages, peintures étincelantes : le choc esthétique que provoquait cette copropriété privée montpelliéraine, une des plus grandes et des plus dégradées de France, sera bientôt de l’histoire ancienne.
Dans les étages, la joie des locataires est pourtant elle aussi… de façade. « C’est bien, le bloc est plus agréable, mais c’est un cache-misère » , lance Moustapha, le plus jeune fils de la famille Abzaoui, qui vit depuis treize ans au rez-de-chaussée d’un des immeubles rénovés. Et vu les charges qu’on paye tous les mois, on attend maintenant la rénovation qu’on nous a promise à l’intérieur. Car l’électricité n’est plus aux normes depuis très longtemps ».
Une ardoise de 2,3 millions d’euros
Neuf ans après la signature de la première convention pour la rénovation du quartier, ses habitants expriment même une vive colère. « C’est beau de loin, mais c’est loin d’être beau », lance Hamza Aarabe, de l’association Justice pour le Petit Bard qui ferraille depuis 2004 pour défendre les locataires. « Nous avons toujours été pour cette rénovation, c’est nous qui sommes allés la chercher, s’emporte Khalid El Hout, président de l’association. Mais c’est de la merde, ils mettent une couche de peinture sans même traiter le béton, parce que les élections approchent.»
Le plan de rénovation, qui prévoit la destruction et la reconstruction d’environ 500 logements et la rénovation de 390 autres, est né dans la douleur. Le Petit Bard, construit en 1962 pour accueillir les « rapatriés d’Algérie», s’est rapidement dégradé dans les années 1980. Les familles d’immigrés marocains qui ne trouvent aucune place dans le parc HLM saturé ont peu à peu remplacé les pieds-noirs.
Depuis les années 1990, le quartier sombre dans une spirale sans fin : déflation des appartements (un T4 valait 14 000 euros en 2001), arrivée de promoteurs peu scrupuleux et de marchand de sommeil. Les détournements de fonds et la mauvaise gestion de syndics véreux laisseront, en 2000, une ardoise de 2,3 millions d’euros. Et l’administrateur judiciaire, nommé pour gérer la copropriété en décembre 2001, fait durement contribuer les propriétaires occupants.
« Nous payons 600 euros de charges par trimestre et les pénalités tombent au moindre retard , raconte un jeune homme, au 16e étage d’une tour presque entièrement vide aujourd’hui, en attente de sa destruction. Pourtant, cela fait bien longtemps qu’il n’y a pas eu de travaux ici. »
Dix ans de bras de fer
En juin 2004, la mort d’un jeune dans un incendie dû à la vétusté du système électrique soulève une profonde émotion des habitants de la copropriété. Une mobilisation inédite naît sur cet électrochoc. La rénovation est signée un an plus tard, mais elle est considérablement ralentie faute d’accord politique, notamment de Georges Frêche, alors président de la communauté d’agglomération, qui refuse d’investir dans une copropriété privée.
Sur fond de pénurie de logements, le dialogue se corse alors pour le relogement des familles dont l’appartement va être détruit. Toutes ne peuvent pas être logées en neuf ou sur le quartier, car un tiers seulement des logements construits seront des logements sociaux, au nom de la mixité sociale.
« Tous les jours, il y a un rapport de forces , dénonce Khalid, président de l’association Justice pour le Petit Bard, qui tient sur le quartier une permanence d’accès au droit, grâce au soutien financier de la Fondation Abbé Pierre. Et rien n’avance si on ne fait pas pression.»
Logements suroccupés, accessibilité, habitat indigne…
En cette fin d’après-midi, un homme s’avance devant le local de l’association, ouvert il y a un an et demi à l’entrée du quartier. Dans ses mains, il tient une lettre de la commission d’attribution du droit au logement opposable (Dalo). Sa demande vient d’être acceptée. « J’ai monté un dossier parce que nous vivons à 9 dans un faux F4. Avec 2 salons et 2 chambres. Cela fait six ans que je dépose des demandes de HLM et je n’ai jamais eu de réponse. » Mais le logement qu’on lui propose est à La Livinière, une commune à 120 kilomètres de Montpellier. « C’est le même cirque pour tous les dossiers Dalo , rumine Khalid. Ils font des propositions impossibles à accepter pour les familles ».
Au Petit Bard, les situations de sur-occupation, les problèmes d’accessibilité ou de logements insalubres s’enlisent. Car la priorité est donnée aux nombreux dossiers de relogement liés à la rénovation. Malgré les urgences, les autres demandes sont pénalisées.
Cela fait vingt ans que la famille Abzaoui dépose chaque année une demande de logement social. « À une époque, nous étions 7 à occuper notre 3 pièces, mais notre dossier ne passait toujours pas» , raconte Moustapha. Aujourd’hui à 4 dans leur appartement qu’ils louent 650 euros à un particulier, ils s’en sortent mieux.
« Ma fille vit avec son mari et ses 2 enfants dans un studio! » , s’affole en revanche Miloud, le père de famille, retraité de la maçonnerie. « Ce n’est pas normal. Mais c’est comme ça à Montpellier. Tu n’obtiens rien si tu ne connais personne, juge l’intéressé en passant la tête sur le pas de la porte *. J’ai un ami qui n’est même pas marié, mais qui a trouvé un HLM sans problème ! Tout fonctionne au piston ou au trafic. »*
30 000 demandes insatisfaites
Le Petit Bard, c’est aussi un taux de chômage de 48 %. Au milieu du ballet des engins de chantier, les rues fourmillent toute la journée. Par moments, ce huis clos s’échauffe. En plein après-midi, ce vendredi, les pompiers interviennent sans un regard des habitants, pendant qu’un policier en civil, le doigt sur la gâchette du flash-ball, monte la garde au carrefour. Un jeune vient de tirer au pistolet à grenaille dans le snack au cœur de la copropriété, pour se venger d’une précédente altercation. Deux personnes sont légèrement blessées. «Une embrouille de jeunes» , s’attriste Khalid, devant le local de son association.
Avec un parc de logements composé à 26% de logements sociaux, Montpellier n’est pourtant pas à la traine. Mais les villes voisines ne jouent pas le jeu. Aux yeux de la loi, il manque dans l’Hérault 15 668 HLM et les 41 communes visées en 2012 par les sanctions prévues par la loi de solidarité urbaine payent 2 millions d’euros d’amende, dont la moitié sur le Grand Montpellier.
« À Montpellier, 75 % des foyers sont éligibles au logement social, rappelle surtout Guy Marion, de l’antenne locale de la Fondation Abbé Pierre *. Il y a 30 000 demandes de HLM insatisfaites par an. Certes, il y a un manque de moyens et de dynamisme, mais c’est une problématique nationale qui dépasse Montpellier. »*
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