Promouvoir les « communs sociaux » : un texte de Francine Mestrum
Si le débat s’étend sur la question des biens communs environnementaux, immatériels et culturels, la question des droits sociaux, présents dans la notion de DESC (droits économiques, sociaux et culturels) comme « communs » à l’humanité est moins soutenue bien que le « socle de protection sociale » développé par Michelle Bachelet pour l’OIT en procède.
Nous publions ici un texte de Francine Mestrum, administratrice du CETRI et membre du Conseil international du Forum social mondial en contribution au développement de ce débat.
Protéger la planète, préparer l’avenir, construire un autre monde … voilà des tâches ardues pour les générations actuelles. Mais leur mise en oeuvre témoigne aussi de la prise de conscience de leur importance pour le futur de l’humanité et de l’environnement.
Nous assistons actuellement à une crise civilisationnelle qui nous impose de réfléchir sur notre organisation politique, sociale et économique. Les modèles de production et de consommation, plus particulièrement ceux du monde des riches, ne sont pas soutenables.
Nous savons que la transition vers un autre monde ne se fera pas du jour au lendemain. Malheureusement, même si pas mal de propositions – avec quelques réalisations – sont formulées pour sauver l’environnement, peu de nouvelles idées émergent pour la protection des personnes.
La situation est assez paradoxale. D’une part, le développement économique a été remplacé par un discours sur le développement humain qui a été à l’origine des programmes de réduction de la pauvreté et débouche aujourd’hui sur des ‘socles de protection sociale’; d’autre part, les Etats sociaux sont démantelés par des gouvernements qui ne jurent que par les politiques du ‘Consensus de Washington’.
_ Même si – à en croire la Banque mondiale – la pauvreté extrême diminue rapidement, les inégalités augmentent et la pauvreté reste un problème sérieux pour près de la moitié de la population mondiale. De plus en plus, les richesses sont accumulées et concentrées entre les mains d’une classe privilégiée très limitée.
Dès lors, il est impératif et urgent d’examiner comment cette situation sociale peut être renversée. Cela veut dire qu’il faudra ré-équilibrer nos sociétés, éradiquer la pauvreté et la déclarer illégale, réduire drastiquement les inégalités… Partout et toujours, indépendamment des régimes politiques, les gens ont besoin de protection, non pas sous forme de police ou de militaires, mais basée sur les droits économiques, sociaux et de solidarité.
Voilà pourquoi nous proposons de promouvoir les ‘communs sociaux’. _ Pourquoi avoir choisi ce concept et qu’est-ce qu’il veut dire?
_ D’abord, le concept de ‘communs sociaux’ témoigne de l’analogie avec les ‘communs’ écologiques. Défendre les ‘communs’ veut dire que l’on se concentre sur ce qui est partagé. Il s’agit du fondement de notre vie collective en tant qu’humanité. Cela veut dire aussi de résister à la marchandisation actuelle de tout et de rompre avec la logique dominante. Les ‘communs sociaux’ sont des communs créés par la population avec le but de protéger les individus et les sociétés.
Deuxièmement, et paradoxalement , le concept de ‘protection sociale’ est en train d’être dilué par les initiatives globales de l’OIT, de la Banque mondiale et d’autres organisations internationales. _ Certaines propositions on un potentiel important d’améliorer les conditions de vie des pauvres, mais d’autres risquent de ne pas aller au-delà des politiques de réduction de la pauvreté que nous connaissons déjà. Nous pensons qu’à long terme, il nous faut bien plus.
_ Troisièmement, nous avons noté que le concept de ‘protection sociale’ n’est pas particulièrement séduisant aux yeux des jeunes qui sont nés dans un monde néolibéral qui met l’accent sur les libertés individuelles et sur la compétitivité. Néanmoins, ces jeunes comprennent parfaitement bien les valeurs de la solidarité et du partage. Parler des ‘communs sociaux’ et délaisser la ‘protection sociale’ peut changer la perception et la compréhension d’une idée qui peut positivement façonner l’avenir. Cela peut également ouvrir des perspectives analytiques et mener à de nouvelles pratiques adaptées au 21ème siècle.
_ Quatrièmement, nous pensons que ce n’est pas seulement les individus qui méritent d’être protégés, mais surtout nos sociétés. Avec l’accent mis sur la compétitivité, le néolibéralisme détruit les relations sociales, les sociétés et les communautés. Cette dimension collective est particulièrement importante si l’on sait que la pauvreté est une relation sociale et non pas seulement un problème des pauvres. Il s’agit d’un problème sociétal qui ne peut être éradiqué sans impliquer l’ensemble de la société. Cela demande de la solidarité et une participation active de tous. L’universalisme sera dès lors une caractéristique majeure des ‘communs sociaux’. L’idée de base est que les relations sociales ne sont pas purement contractuelles mais sont constitutives de chaque individualité. En effet, la société est nécessaire à la survie des individus.
Mais que voulons-nous dire plus précisément par ce concept de ‘communs sociaux’?
_ Le concept est basé sur une prise de conscience des intérêts – divergents – d’une société et de notre responsabilité partagée. Le concept de ‘communs sociaux’ souligne la dimension collective de la protection nécessaire et l’effort collectif nécessaire de la mettre en œuvre. Les ‘communs sociaux’ ne sont pas des ‘biens publics’ mais se réfèrent au ‘bien commun’, ce que partage l’humanité. Leur émergence requiert une approche participative qui n’ignore pas le rôle important de l’Etat. Il s’agit d’une action collective et du résultat de cette action. Il est basé sur la croyance que les peuples peuvent maîtriser leur présent et façonner leur avenir dans le cadre d’un respect mutuel et d’un respect de la nature.
Les ‘communs sociaux’ veulent aussi mettre fin à la fragmentation des différents droits sociaux, économiques et de solidarité. Ces droits sont aujourd’hui défendus par des mouvements sociaux fort différents et souvent en compétition entre eux. Ce qu’il faut est une coopération étroite afin de défendre les pauvres, les hommes et les femmes, les enfants, les personnes âgées et à mobilité réduite, les travailleurs formels et informels, les migrants, les précaires, etc., moyennant une assistance sociale, une sécurité sociale, un droit du travail, des services publics et des droits environnementaux. Trop de zones grises ont vu le jour ces derniers temps qui empêchent de catégoriser les citoyens. Ces problèmes nouveaux et anciens ne peuvent être résolus sans une approche holistique, une coopération et une solidarité.
Les ‘communs sociaux’ constituent un projet transformateur, ce qui veut dire que leur mise en œuvre requiert des changements dans d’autres secteurs sociaux et ne peut en être dissocié. Ceci est vrai tout d’abord pour l’économie qui devra être ré-organisée afin de satisfaire les besoins de tous, en mettant l’accent sur la valeur d’usage et le travail non spoliateur. Cela est vrai également pour la démocratie qui nécessitera une participation plus large des citoyens dans différents secteurs. Les frontières des ‘communs sociaux’ restent ouvertes. Ils commencent avec l’arrêt des processus d’appauvrissement et peuvent déboucher sur la production, la consommation et la prise de décision.
Tout comme le concept du ‘buen vivir’, les ‘communs sociaux’ défendent la vie individuelle et la vie collective, ainsi que la nature. Il s’agit du droit des sociétés de s’organiser et de décider de la façon dont elles veulent vivre. Ils veulent donner aux peuples et aux sociétés de la sécurité sociale et économique, afin de satisfaire les besoins matériels et immatériels. Il s’agit d’une approche holistique qui offre du pain et des roses. Il va au-delà des mécanismes et des symboles des sociétés traditionnelles, mais ils sont basés sur les mêmes idées fondamentales de la préservation de la vie des individus et des sociétés.
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