« Okja », de Bong Joon Ho
Le film produit par Netflix est une charge anticapitaliste, un film d’action et un plaidoyer contre la souffrance animale.
Lors de la projection de 8h30 du nouveau film de Bong Joon Ho, on a cru à une manifestation contre Netflix, producteur de Okja, qui a décidé de ne pas le diffuser dans les salles en France. Des sifflets et des quolibets, en guise de suite à la polémique. Ils étaient avant tout réservés au problème de cadre de l’image, dont une partie était hors écran. Arrêt de la projection, qui reprend au début et au bon format. Des huées ont salué la réapparition du logo de la firme, mais tout est rentré aussitôt dans l’ordre…
Et c’est heureux, car le film doit être appréhendé avant tout à l’aune de sa proposition artistique, qui est, au reste, plutôt bluffante. Mais tout de même, ces deux paradoxes : Okja, présenté en compétition, est plus que jamais un film de cinéma, avec des plans de nature et de paysage, ou des scènes d’action vertigineuses, qui nécessitent la salle et le grand écran. En outre, il est savoureux que la décision de Netflix, d’ordre commercial et résonnant comme une provocation dérégulatrice contre la législation française de la chronologie des médias, s’applique à une œuvre à forte charge anticapitaliste.
C’est en effet l’essentiel du propos d’Okja. Comme si Bong Joon Ho s’était imprégné de tous les essais de Susan George et des communiqués d’Attac, avec en plus une sensibilité particulière, de plus en plus visible dans la littérature et le cinéma : la souffrance animale.
La société Mirando (entendez Monsanto) a décidé de faire avaler du porc OGM à ces cochons de consommateurs, au prix d’un « petit mensonge ». Elle fait croire qu’elle a découvert une race particulièrement dodue de cet animal, et qu’elle les fait se développer chez des éleveurs aux techniques ancestrales dans une quinzaine de pays de par le monde. Rendez-vous dix ans plus tard pour élire le plus beau super cochon.
La Corée fait partie de ces pays. On y fait la connaissance de Mija (An Seo Hyun), orpheline vivant chez son grand-père éleveur dans les montagnes, et de Okja, une femelle, énorme porcine en taille et en capacité d’affection. Leur duo est inséparable, leur amour indéfectible. C’est quand la firme va vouloir récupérer la bête pour l’exposer à New York (avant de la faire passer à l’abattoir) que les choses vont se corser.
La description de la multinationale Mirando, tentaculaire et mafieuse, est particulièrement réussie. À sa tête : Lucy Mirando, personnage faible et dangereux, réellement psychopathe (comme l’ancien PDG, son père, qui vendait du napalm). Elle est interprétée par la toujours géniale Tilda Swinton, qui parvient à lui donner un caractère à la fois comique et inquiétant. La comédienne joue également le rôle de sa sœur jumelle, considérée de la même façon comme fragile psychologiquement, n’attendant qu’un faux pas de la première pour prendre sa place.
Rien n’échappe à la valorisation de la marque Mirando. Celle-ci ne cesse de travailler à son image, les apparences dissimulant la vérité, notamment par le biais de son représentant médiatique en titre, un animateur décérébré du type Hanouna (donc très crédible), Dr. Johnny Wilcox (Jake Gyllenhaal, grotesque à souhait). Le cynisme est de rigueur, la violence aussi. Car Mija, dans sa course pour sauver Okja, rencontre sur son chemin une bande d’activistes appartenant au Front de libération des animaux, qui cherchent à dénoncer les pratiques de Mirando. Le cinéaste trouve le ton juste pour mettre en scène ces militants pacifistes, menés par Jay (Paul Dano), entre convictions ancrées parfois à la limite du ridicule et efficacité opérationnelle. Justement, quand Mirando décide de vraiment leur faire la peau, ce n’est pas à la police qu’elle a recours (même si « la police est notre amie », entend-on de la bouche de la PDG), mais à une milice privée, plus efficace, et acceptée, semble-t-il, par les autorités new-yorkaises. Mirando cumule ainsi tous les pouvoirs : économique, médiatique, voire politique…
Voilà un (tout petit) aperçu d’Okja, qui intègre plusieurs genres cinématographiques avec une très grande virtuosité : thriller, film d’animation (car bien sûr Okja est issue d’une image virtuelle), conte, satire politique… Et ce film-là serait réservé aux seuls abonnés de Netflix ?
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