Droit du travail : une réforme pour satisfaire Bruxelles

Le projet de loi d’habilitation à réformer le Code du travail est en fait un des grands axes du quinquennat pour répondre, avant tout, aux recommandations de la Commission européenne.

Thierry Brun  • 14 juin 2017
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Droit du travail : une réforme pour satisfaire Bruxelles
© VIRGINIE NGUYEN HOANG / HANS LUCAS

L’examen du projet de loi d’habilitation de réforme du Code du travail par ordonnances est prévu demain, le 28 juin, en Conseil des ministres, dix jours seulement après le deuxième tour des législatives. Ce calendrier précipité est destiné au « semestre européen » exigé de la Commission européenne. En effet, ce « projet de loi travail XXL », selon la CGT, coïncide avec les recommandations du semestre européen. Les députés de la majorité LREM n’auront plus qu’à se plier aux exigences de « réformes structurelles » demandées par la Commission européenne.

La réforme du travail est attendue, et vite, par la Commission européenne. Pourquoi ? Rappelons que depuis 2015, nous sommes sous les fourches caudines des recommandations du « semestre européen » imposées à tous les États membres. Ceux-ci doivent respecter ce calendrier européen, coûte que coûte, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, sur la base de la compétitivité selon le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Les réformes imposées par la Commission européenne sont résumées dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale en 2016 par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, intitulé : « Le programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 et le programme national de réforme ».

Le « programme de stabilité » et le « programme national de réforme » sont les documents qui doivent être transmis chaque année par le gouvernement de la France dans le cadre du « semestre européen ». Vous avez bien lu : les programmes de « stabilité » et de « réforme » sont élaborés à l’avance. Aux yeux de Bruxelles, le nouveau Président, Emmanuel Macron est l’homme qui est censé respecter ces programmes. Jusque-là, tout va bien…

Mais il faudra négocier avec les syndicats et espérer que la rue ne soit pas pleine de salariés mécontents.

La réforme déjà sur les rails à Bruxelles

Avec cette réforme du Code du travail, Emmanuel Macron devra être en quelque sorte le bon élève économique libéral pour Bruxelles. Prenons la « Recommandation du conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2017 et portant avis sur le programme de stabilité de la France pour 2017 », document publié au mois de mai et produit chaque année par le Conseil européen. Cette « recommandation » doit être prise en compte par les autorités nationales dans la construction du projet de loi de finances et le projet de loi qui aborde le social, entre autres.

Réformer le droit du travail en France est laborieux : un volet a été mis en œuvre lors de la précédente mandature, la Commission estime que « des mesures visant à réduire le coût de la main d’œuvre ont continué à être mises en œuvre, avec le lancement, en avril 2016, de la deuxième phase de baisse des cotisations patronales prévue dans le pacte de responsabilité et de solidarité. En outre, pour 2017, le gouvernement a augmenté le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui passe de 6 % à 7 % ».

Il reste à charge à la nouvelle Assemblée nationale : « le regroupement de tous les dispositifs de réduction du coût de la main-d’œuvre et leur transformation en réductions permanentes des cotisations sociales [ce qui permettrait] d’optimiser leurs effets sur l’emploi et l’investissement ». La Commission évoque d’autres recommandations à la charge de la nouvelle Assemblée : « afin de réduire les lourdeurs administratives auxquelles sont confrontées les entreprises […] des mesures adoptées avant 2016 n’ont pas encore été mises en œuvre. […] Des effets de seuil [1] continuent de limiter le développement des entreprises, ce qui a des implications pour leurs performances économiques et de marché ».

Pour ce dernier point la Commission précise la démarche : « Les obligations sociales et fiscales accrues qui leur incomberaient au-delà d’un certain nombre de salariés peuvent dissuader les entreprises d’atteindre une taille qui leur permettrait d’exporter et d’innover. Ces effets de seuil peuvent alors avoir un effet négatif sur la productivité et l’internationalisation des entreprises. En effet, d’après des données empiriques, les seuils de 10 et de 50 salariés sont particulièrement coûteux pour les employeurs. »

La réponse d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron remet à Bruxelles une « simplification » (pour lever les « obstacles » à des marchés naissants) : dans la barémisation des indemnités prud’homales ; dans le licenciement économique dans une filiale d’un groupe international ; dans la réduction des délais de recours contentieux ; dans le recours aux CDI de projet ; dans le compte pénibilité ; dans l’élargissement du champs des accords d’entreprise ; dans consultation des salariés et implantation syndicale et dans la fusion des instances représentatives du personnel, selon le document révélé par sur le site du Monde le 20 juin 2017.

Pour ce concerne « la fusion des institutions représentatives du personnel », il existe, actuellement, trois institutions distinctes : les délégués du personnel, à partir de 11 salariés ; le comité d’entreprise, à partir de 50 salariés ; le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), également à partir de 50 salariés. Emmanuel Macron souhaite « ôter les verrous » en créant une instance unique pour toutes les entreprises, comme le veut la Commission et à la demande des organisations patronales (Medef et BusinessEurope).

Si la Commission européenne ne s’estime pas satisfaite par la loi proposée, d’autres réformes viendront pour adapter le Code travail au marché intérieur européen. On arrivera un droit du travail minimal, comme on peut le voir dans des métiers de service sur des marchés : les chauffeurs Uber, les coursiers à vélo qui sont des autoentrepreneurs (Take Eat Easy – liquidée en août 2016 –, Deliveroo, UberEats, Foodora, etc.). Un Code du travail à la mesure des start-up et des services, la Commission estime il y a là un vivier d’emploi. Mais rien n’est dit sur la précarité et les conditions de travail.

Le traité est à la base de la réforme

Nous devons rappeler certains articles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, car chacune des recommandations sont formulées avec l’appui des articles 151, 153, 154, 155 qui sont dans le Titre X, consacré à la politique sociale.

Vous ne trouverez rien en matière de protection des salariés. Mais il existe bien un « socle des droits sociaux » et un « tableau de bord social » publié par la Commission européenne, présenté en avril 2017, par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, avec la phrase : « Construire une Europe plus équitable et renforcer sa dimension sociale est une des principales priorités de cette Commission », mais c’est trompeur car nous sommes loin de mettre en cause le dogme libéral qui est inscrit le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[1] Le fait qu’un patron renonce à embaucher car cela l’obligerait à créer une de ces institutions.

Temps de lecture : 6 minutes
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