« Everybody Knows », de Asghar Farhadi [Film d’ouverture – Compétition]
Vieilles rancœurs et faux secrets de famille pour film usé.
Cérémonie d’ouverture du soixante-et-onzième festival de Cannes. Sur le tapis rouge (« red carpet », prononce-t-on, quand on est « in ») : l’équipe du film qui va être projeté, Everybody knows, de l’Iranien Asghar Farhadi, le réalisateur d’Une séparation (2011). Stars du casting : Pénélope Cruz et Javier Bardem, mariés à la ville. Tout d’abord photographiés en compagnie du cinéaste et de Ricardo Darin, autre comédien du film, ils arrivent en bas des marches où l’on sent un petit moment de flottement. Soudain, le couple rebrousse chemin. Les deux stars sont désormais seules à s’offrir à l’avidité des photographes, postés à droite et à gauche du tapis. Et que je me retourne d’un côté puis de l’autre, puis encore de l’autre, comme on le fait d’une bonne viande au-dessus d’un barbecue. Le beau couple ! Mais c’est que ça commence à durer. Thierry Frémaux et Pierre Lescure, les responsables du festival, doivent s’impatienter : on ne va pas tenir l’horaire ! Un homme en smoking s’approche de Cruz et Bardem pour les inviter à retourner vers les marches. Va-t-il réussir à les arracher à tous ces clichés ? À les ramener à la raison ? Un pas de côté, deux ou trois gestes discrets et… c’est gagné ! Le couple retrouve la bonne direction pour gravir l’Annapurna cannois !
Quel suspense ! À l’issue de la projection, on se dit que c’était vraiment le seul digne de ce nom au cours de cette soirée. Asghar Farhadi a pourtant bien tenté d’en placer dans tous les recoins de son film. Mais ça fait pschitt, désespérément pschitt ! L’action d’Everybody Knows se déroule en Espagne, dans une terre viticole. Laura (Pénélope Cruz), vivant en Argentine, est de retour pour le mariage d’une de ses sœurs. Au cours de la fête, sa fille, une adolescente, disparaît : elle a été enlevée. Qui a fait le coup ?
Pour ne pas risquer de mettre en danger la vie de la jeune fille, les gendarmes ne sont pas prévenus. L’enquête se fera donc par la famille, ainsi que par l’ancien amour de Laura, Paco (Javier Bardem), qui détient aujourd’hui l’exploitation viticole. Tandis que les kidnappeurs exigent une importante rançon.
Les premiers regards suspicieux se tournent vers les jeunes travailleurs, au passé de petits délinquants, venus pour les vendanges. Mais rapidement, la famille restant en vase clos avec sa douleur et son impuissance, elle tourne vinaigre. Les vieilles rancœurs et les secrets d’alcôve plus ou moins éventés remontent à la surface. Et on commence à se soupçonner les uns les autres. C’est le syndrome Festen et l’énième film fondé sur la même trame. (Films de) familles, je vous hais !
L’argent est bien sûr un bon motif pour s’écharper entre soi. Le mari de Laura (Ricardo Darin), arrivé précipitamment d’Argentine, réputé plein aux as, est au chômage depuis deux ans. Il est passé de l’amour de la boisson à celui de Dieu, d’une efficacité discutable en matière de libération d’otage. Tandis que l’acariâtre patriarche se souvient que les parents de Paco étaient ses domestiques et qu’initialement, les terres étaient à lui. Ou comment le lumpen a ravi son bien à la petite bourgeoisie. Un brin de Marx dans cette soap aux rebondissements scénaristiques d’une colossale finesse, c’est toujours bon…
Alors, et les auteurs de l’enlèvement ? C’est là que le film vire franchement antipathique. Sans aucune imagination, Asghar Farhadi a décidé d’incriminer ces « salauds de pauvres ». Une world fiction usée jusqu’à la corde avec des stars au casting, passe encore. Mais dotée d’une mentalité de flic, ça non !
Everybody Knows, Asghar Faradhi (2h12). En salles dès aujourd’hui, mercredi 9 mai.
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