Hommage à Christine Renon
Alors que la République enterrait en grande pompe lundi son ancien président Jacques Chirac, une directrice d’école dévouée, Christine Renon est inhumée aujourd’hui dans le plus grand des silences.
Lundi dernier, pendant la minute de silence qu’il fallait observer pour Jacques Chirac, je n’ai fait que penser à ma collègue, Christine Renon. Cette directrice d’école maternelle de Pantin a été retrouvée morte dans le hall de son établissement lundi 23 septembre. Elle a envoyé avant de mettre fin à ses jours un courrier qui résonne encore dans ma tête aujourd’hui. « Je ne pensais pas que ce métier que j’ai tant aimé m’amènerait à ce geste », lit-on entre autre.
Tous les gens qui l’ont côtoyée décrivent une femme combative et passionnée. Son geste et le lieu choisi en disent long sur son exaspération. « Je sais une chose. Christine a donné sa vie pour l’Éducation nationale, et elle l’a perdue sur son lieu de travail. Elle avait un combat, ses élèves », a déclaré à la presse un enseignant de son école.
Le courrier qu’elle a envoyé à son inspection académique ainsi qu’à tous les directeurs d’école de Pantin décrit avec beaucoup de justesse les conditions d’exercice des directeurs d’école et le manque de considération de leur hiérarchie. Lorsqu’on a reçu vendredi dernier la lettre du Premier ministre nous demandant de faire une minute de silence pour l’ancien président Jacques Chirac, je m’attendais naïvement à ce qu’il évoque ce drame. Il n’en fut rien. Christine Renon, qui a consacré sa vie à son métier, n’aura eu le droit qu’à un tweet de notre ministre Jean-Michel Blanquer dans lequel elle n’est même pas nommée.
Je n’ose imaginer la peine des enseignants de son école à reprendre le travail. Ne pas faire de vagues et continuer comme si de rien n’était. Un directeur d’une école de Pantin a déclaré dans Libération que les premiers mots de l’administration furent de leur rappeler leur devoir de réserve en rappelant que ce courrier de Christine Renon était une pièce de justice. Il ne fallait donc pas le rendre public. Lors de l’hommage qui lui a été rendu à son école jeudi 26 septembre, il n’y a pas eu non plus de représentant de l’inspection académique ni du ministère.
On ne peut pourtant pas faire comme si rien ne s’était passé. Ce drame doit servir à quelque chose. Aujourd’hui, jour de ses obsèques, un appel à la grève a été lancé dans l’académie de Créteil afin de lui rendre hommage mais aussi pour dénoncer ce silence hallucinant de la République à son égard. Depuis 2017, pas moins de 12 suicides ou tentatives de suicide ont eu lieu sur l’académie de Créteil, dans le premier et le second degré, en lien avec nos conditions de travail. Ce n’est pas rien.
Car ce silence de l’institution en dit long. Si j’avais à nommer cette rentrée scolaire 2019 par un seul terme ce serait celui de la résignation. Je ne pense pas être le seul à le penser. Nous, enseignants, avons perdu tous les combats menés ces dernières années pour maintenir la qualité de notre enseignement à un niveau acceptable. Les seules victoires que nous pouvons célébrer c’est le maintien in extremis d’une classe dans une école suite au passage à la rentrée d’un inspecteur venu compter les élèves ou l’arrivée d’un AVS (assistant de vie scolaire) pour aider un élève handicapé, élève qui nécessitait parfois une débauche d’énergie incroyable du professeur qui l’avait dans sa classe jusque-là.
Notre métier est devenu répulsif, il faut le reconnaître et le futur ne s’annonce guère resplendissant. Pourtant, on aime encore ce métier, on aime nos élèves, on aime les voir s’épanouir et devenir des adultes responsables quand on a la chance comme moi de rester dans le même établissement pendant plusieurs années.
Il serait bien de l’entendre et de remettre au centre de l’échiquier la question de l’éducation dans notre pays en associant les enseignants et personnels de direction aux réformes. Il n’y a pas mieux placé que nous pour savoir ce dont l’école a besoin.
Un rassemblement aura lieu aujourd’hui devant l’inspection académique de Seine-Saint-Denis à Bobigny ainsi que devant de nombreuses inspections de circonscription. Rendre un dernier hommage à une femme exemplaire au service de la nation, c’est bien le minimum que l’on puisse faire.
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