Têtes raides et bille en tête

En visite à « Politis », deux membres de ce groupe phare du rock français ont livré un bilan mitigé de leur « Avis de K.-O. social », lancé en 2002. Mais, sans désarmer, ils lancent de nouvelles idées pour lutter contre la léthargie.

Clotilde Monteiro  • 21 juin 2007 abonné·es

(Extraits sonores de l’entretien sur le blog des rédacteurs)

Christian Olivier et Grégoire Simon, membres des Têtes raides, groupe phare du rock français engagé, ne sont pas arrivés les mains vides dans les locaux du journal. Avant de commenter l’actualité politique et de parler de leur travail, Christian, le chanteur, et Grégoire, le saxophoniste, ont procédé à une distribution de cadeaux propre à briser la glace. Sous le papier de soie immaculé, autour de la table, chacun découvre un slip kangourou blanc taille XXXL, orné d’un petit personnage tracé à la craie noire, typique de l’esthétique des Chats pelés [^2], accompagné d’un logo (manuscrit) : Mon Slip ^3. Nom du label indépendant créé par Christian et Grégoire, et dont Loïc Lantoine et Jean Corti (l’ex-accordéoniste de Jacques Brel) sont deux des fleurons du catalogue.

Christian, la tête pensante et créative [^4] des Têtes raides, plutôt pince-sans-rire, pèse ses mots : « Le catalogue de Mon Slip est une réponse musicale au contexte de l’industrie du disque actuelle. » La discussion, bien que sérieuse, donne lieu à quelques répliques tordantes et tourne vite à la franche rigolade : « Mais pourquoi n’êtes-vous pas dans Mon Slip ? » ou « Mon Slip est le producteur exécutif desTêtes raides ». Grégoire, le géant du groupe (il doit bien approcher les deux mètres), s’en donne à coeur joie, « tout ce qui passe par les Têtes raides passe par Mon Slip », avec un débit de paroles proche de celui d’une mitraillette, qui ne fait qu’ajouter au fou rire.

Le tandem s’est prêté au jeu des questions pour commenter une actualité politique « tragique » , qui résulte, selon Christian Olivier, « d’une lepénisation des esprits savamment orchestrée par le pouvoir avec la complicité des médias ». Les deux artistes parlent également de leur engagement et font un bilan mitigé de l’Avis de K.-O. social, lancé par le groupe en réaction aux résultats du premier tour de la présidentielle de 2002. Ils reviennent sur cinq années d’actions menées sur le terrain, pour ouvrir le débat et faire circuler la parole à travers toute la France. La crise de l’industrie du disque ou le statut menacé de l’artiste sont autant de thèmes sur lesquels Christian et Grégoire ont tenu à réagir.

Christian Olivier n’est jamais à court d’idées pour lutter contre la « léthargie » ambiante et protester, notamment, contre l’usage mercantile de la musique. Il s’explique ici sur les nombreuses raisons qui l’ont amené à imaginer Le Chut ! (voir page 10). Une nouvelle action culottée, puisqu’il propose de faire une heure de silence le jour de la Fête de la musique. Pour que le silence laisse place, ensuite, à un débat salutaire et participe d’une prise de conscience des problèmes inhérents à l’industrie du disque.

Les deux porte-parole des Têtes raides sont moins diserts concernant la couleur musicale de leur nouvel et dixième album, dont la sortie, prévue à l’automne, marquera les vingt ans du groupe. Normal, ils s’apprêtent à entrer en studio. Comme l’observe Christian, le maître d’oeuvre originel de chaque opus : « Tant qu’on n’est pas en studio, on reste au stade de l’ébauche. J’ai écrit et composé un certain nombre de chansons, dont la plupart ne sont pas terminées. Il va y avoir ensuite un travail de composition collectif qui sera déterminant. » Seule certitude, l’accordéon, marque de fabrique du groupe, absent de leur dernier album, Fragile[^5], est de retour… Grégoire, en bon vivant, et pour mieux nous allécher, promet « un cru AOC qui aura de la couleur et de la robe quand il sera arrivé à maturité ».

Sur l’album Fragile, figuraient des invités et auteurs prestigieux tels la surréaliste égyptienne Joyce Mansour, Jasmine Vega, Rachid Taha, The Ex, un groupe punk néerlandais, Didier Wampas et last but not least , Boris Vian, avec le poème Je voudrais pas crever , mis en musique par le groupe. Nul doute que les deux filles et les six garçons des Têtes raides sauront nous régaler de surprises de la même eau dans leur prochain album, avec leur dizaine d’instruments à chaque fois mis au service d’une oeuvre singulière, rock, musette et toujours poétique…

[^2]: Nom de l’atelier graphique de Christian Olivier.

[^4]: Les dessins qui illustrent cette édition de Politis sont de lui.

[^5]: Fragile, Warner, 2005.

Culture
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