Les vieux démons de la division

Le vote utile en faveur du Parti démocrate a poussé hors du Parlement italien la gauche de (la) gauche. Cette disparition provoque une série de crises au sein de ses composantes.

Olivier Doubre  • 24 avril 2008 abonné·es

Une des membres de la liste du Parti démocrate (PD) dans la région du Piémont le reconnaissait elle-même la semaine dernière sur la première chaîne italienne, Rai 1 : « La coalition de centre-droit a obtenu dans ma région le même nombre de voix qu’en 2006 ; c’est notre liste du Parti démocrate qui n’a pas fait le plein, et ce n’est pas tellement le bilan gouvernemental qui est en cause, mais bien la façon dont nous nous sommes présentés devant les électeurs. » Et de reconnaître que les thèmes – fortement tournés vers le centre – n’ont « pas été en adéquation avec les attentes des électeurs ».
Si Walter Veltroni a échoué à conquérir la majorité au Parlement, sa seule véritable « réussite » semble donc bien l’élimination de toute représentation parlementaire sur sa gauche, c’est-à-dire de la coalition unitaire de la Sinistra-L’arcobaleno [Gauche arc-en-ciel], rassemblement de gauche sociale et écologiste. Comme les premières analyses le laissaient penser (cf. n° 998 de Politis), la stratégie de « course au centre » du Parti démocrate, fusion de l’aile gauche de l’ancienne Démocratie chrétienne et des héritiers de l’ex-PCI, qui n’a cessé de gommer toute référence à son passé de force progressiste jusqu’à même nier être « un parti de gauche » (sic), a bien opéré un déplacement généralisé vers la droite de l’ensemble de l’électorat. Ainsi, Renato Mannheimer, l’un des politologues les plus médiatiques en Italie, peu suspect de sympathies gauchistes, a détaillé cette semaine, dans plusieurs émissions télévisées, les transferts de voix entre les différentes listes.

Alors que les forces de la Sinistra-L’arcobaleno perdaient plus de trois millions de voix (et ne franchissaient pas la barre de 4 % nécessaire pour obtenir des députés), le phénomène du « vote utile » a joué fortement en faveur du PD : plus de 40 % des électeurs ayant voté pour un des partis de la Sinistra-L’arcobaleno en 2006 ont cette fois donné leurs suffrages au Parti démocrate (et 18 % se sont abstenus, sans doute désabusés par l’échec de leurs anciens champions à peser sur l’action du gouvernement Prodi). Suivant le même mouvement, près de 20 % des électeurs en 2006 de l’Ulivo (coalition qui regroupait les composantes ayant créé le PD) se sont, eux, tournés vers l’Union du Centre (UDC), démocrates-chrétiens auparavant alliés à Berlusconi qui ont choisi, cette fois, en 2008, de se présenter seuls, selon une stratégie comparable à celle de François Bayrou en France. Enfin, à droite, le vainqueur des élections, le Peuple de la liberté (PDL), fusion de Forza Italia et des anciens « post-fascistes » d’Alliance nationale, perd en fait en valeur absolue quelques dizaines de milliers de voix, essentiellement au profit de la Ligue du Nord, le parti clairement le plus à droite, aux forts relents xénophobes et antidémocratiques.

Du côté de la gauche de (la) gauche, celle-ci semble aujourd’hui renouer avec ses vieux démons de divisions tous azimuts. Des divisions qui risquent pourtant de lui coûter cher face à un PD qui souhaite occuper tout l’espace face à la droite. La formation d’un nouveau « sujet unitaire », dont les listes estampillées Sinistra-L’arcobaleno se voulaient les prémices, est donc aujourd’hui mal en point. « L’arc-en-ciel a malheureusement explosé ! », nous indiquait Angelo Mastrandrea, rédacteur en chef du Manifesto, le quotidien de la gauche critique, qui avait, durant la campagne, clairement soutenu la Sinistra-L’arcobaleno. Celle-ci rassemblait quatre organisations : Rifondazione comunista (la plus importante, dont la majorité interne se rapproche des positions des « rénovateurs » communistes français), le petit Parti des communistes italiens (PdCI, orthodoxes), les Verts et Sinistra democratica (SD, « Gauche démocratique », aile gauche des ex-démocrates de gauche qui a refusé l’entrée dans le PD). Aujourd’hui, une partie des Verts regardent fortement vers le PD, tentés de rejoindre certains environnementalistes en son sein pour y créer un courant écologiste. Le PdCI, déjà le plus réticent au sein de la Sinistra-L’arcobaleno du fait de l’abandon du symbole de la faucille et du marteau, appelle clairement à « l’unité des commmunistes ». Quant à SD, très affaiblie, une certaine cacophonie y règne depuis le soir de la défaite : certains dirigeants appellent à rejoindre le PD, d’autres à poursuivre « l’Arc-en-ciel », d’autres enfin souhaitent étrangement rejoindre le petit Parti socialiste (qui, lui aussi, vient de disparaître du Parlement). Enfin, à Rifondazione, après la démission de la direction qui soutenait le président d’honneur Fausto Bertinotti, leader de la coalition défaite aux élections, une guerre de courants est actuellement ouverte, davantage sur des questions de personnalités qui, toutes, visent la direction du parti (avec en ligne de mire le futur congrès prévu en juillet). Dans celui-ci, le plus important des quatre (mais donc celui qui a donc perdu le plus), la volonté de poursuivre un processus unitaire engagé avec la Sinistra-L’arcobaleno demeure la plus vive. Cela suffira-t-il ?

Monde
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