Le sursaut citoyen

La sortie au cinéma du film des Enfants de Don Quichotte est l’occasion de revenir sur l’action de ces nouveaux militants qui ont mis en lumière les carences des politiques publiques sur le logement, et bousculé la société civile. Un dossier à lire dans notre rubrique **Société** .

Ingrid Merckx  • 23 octobre 2008 abonné·es
Le sursaut citoyen

Seront appelés “Enfants de Don Quichotte” tous les hommes et femmes décidés à se mettre en danger pour combattre l’injustice sociale et restaurer la dignité des personnes… » Ainsi commençait la Charte des Enfants de Don Quichotte, appelant à se rassembler en faveur des sans-abri le 2 décembre 2006 à la Concorde, à Paris. Augustin Legrand et Pascal Oumaklouf, comédiens, étaient « volontairement devenus SDF » pour inviter les sans-abri à se regrouper lors d’une occupation citoyenne avec des bien-logés. L’action s’est poursuivie par un campement installé quinze jours plus tard sur le canal Saint-Martin. Les Enfants de Don Quichotte entendaient « montrer aux Français la défaillance de l’État dans son rôle de garant des “moyens convenables d’existence” ».

Il y eut des hauts : la signature de la Charte du canal Saint-Martin du 25 décembre 2006, la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (Dalo), la naissance d’un front associatif contre l’exclusion, des échos dans la presse… Et aussi des bas : une gestion contestée du camp, un début de grève de la faim, une action qui tirait en longueur, une sortie de crise difficile avec des retombées parfois négatives… Mais les « Don Quichotte » ont réveillé les consciences, réussi à fédérer les sans-abri à travers une image positive et collective, et fait modèle au-delà du pays, analyse le sociologue Serge Paugam.

Un happening ? Tout le monde l’a cru au départ. Même Augustin et Jean-Baptiste Legrand, noyau dur de l’association aujourd’hui, qui sont partis pour « donner la parole aux exclus » caméra au poing, mais sans trop savoir où ils allaient, et dans l’idée de « passer la main » après avoir créé un « buzz » sur Internet. Vite dépassés par l’ampleur de ce qu’ils avaient déclenché, ils ont appelé les associations à la rescousse, Secours catholique, Emmaüs et Fondation Abbé-Pierre (FAP) en tête. Méfiantes au départ, redoutant des manipulations, elles ont été surprises par la sincérité des Don Quichotte. Voyant en eux un sursaut de la société civile contre l’exclusion et un nouveau canal de luttes, elles les ont épaulés. Deux ans plus tard, elles les comptent parmi leurs partenaires.
Nouveaux militants ou futurs professionnels ? Une chose est sûre, les frères Legrand, bénévoles permanents de l’association depuis deux ans, n’ont « rien gagné dans l’affaire » : l’un a perdu son statut d’intermittent du spectacle, l’autre s’est remis depuis quelques mois seulement à son travail de producteur pour tirer un documentaire des images enregistrées par leurs soins.

Illustration - Le sursaut citoyen

La mobilisation au canal Saint-Martin a donné une visibilité aux personnes sans abri. GUEZ/AFP

Ce film, Enfants de Don Quichotte (acte I) , ­d’abord diffusé inachevé sur la toile, est sorti en salles le 22 octobre. Il retrace une actualité certes datée : de décembre 2006 à décembre 2007. Entre-temps, il y a eu l’élection de Nicolas Sarkozy ; l’annonce d’un plan Fillon pour le logement ; la création du Collectif des associations unies contre le mal-logement ; la nomination d’un superpréfet au logement, Alain Régnier ; la publication du rapport du député (UMP) Étienne Pinte sur l’hébergement d’urgence et l’accès au logement ; la présentation devant le Sénat de la loi Boutin sur le logement ; et l’annonce par le gouvernement d’une baisse de 7 % du budget 2009 consacré au logement…
Mais ce film doit permettre de « déterrer la hache de guerre », prévient Augustin Legrand. Pas question de lancer une action brutale dans l’immédiat. Les Enfants de Don Quichotte se sont associés au Secours catholique et à la FAP pour une « opération légaliste » – la tournée d’un « bus Dalo », qui sillonnera la France du 23 octobre au mois de décembre et prendra ainsi le relais de la Caravane contre la crise du logement, lancée, entre autres, par le DAL, Attac et la LDH. L’heure est à un autre combat : la sortie de ce film est l’occasion de remettre sur le devant de la scène une actualité qui peine à se frayer un chemin. Si le rapport d’Étienne Pinte, remis à François Fillon le 5 septembre, reprend 80 % des propositions des associations, la nouvelle loi défendue par la ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, fait l’unanimité contre elle.
« Cette loi écorne le droit au logement ! » . « Elle est régressive ! », dénoncent les associations. Exemples les plus frappants : l’article 17 modifie l’article 55 de la loi SRU sur la solidarité et le renouvellement urbain en assimilant l’accession à la propriété à la construction de logement sociaux. « Un tour de passe-passe qui minore les obligations des municipalités alors qu’une centaine n’ont pas atteint les 20 % de logements sociaux imposés par la loi » , résume Robert Burkel, du Secours catholique. D’autre part, ­l’article 19 de la loi réduit de trois à un an la possibilité de suspendre la décision d’expulsion de logement. Alors que l’arrêt total des expulsions compte parmi les priorités listées par l’interassociatif.
La discordance entre le rapport Pinte et la loi Boutin prouve l’incohérence des pouvoirs publics. Le 17 septembre, l’interassociatif est sorti « atterré » du bureau de François Fillon. Pour Didier Cusserne, d’Emmaüs, tout va se jouer entre le Sénat et l’Assemblée. Les parlementaires ont reçu 14 amendements pour contrecarrer la loi. Et Étienne Pinte a demandé un « droit de suite » sur les mesures qu’il réclame. En trois ans, pas moins de sept rapports ont été publiés sur le logement. Tous posent le même diagnostic. Pourtant, le budget sur le logement pour les trois ans à venir est en baisse notable. « Tout le monde se mobilise, sauf l’État. On ne se laissera pas faire ! » , alerte Patrick Doutreligne, de la FAP, à la veille d’un nouvel hiver difficile. Il va en falloir, des « chevaliers de l’idéal » , pour enrayer la crise.

Société
Temps de lecture : 5 minutes

Pour aller plus loin…

Au procès de Christophe Ruggia, la colère d’Adèle Haenel, « cette enfant que personne n’a protégée »
VSS 11 décembre 2024 abonné·es

Au procès de Christophe Ruggia, la colère d’Adèle Haenel, « cette enfant que personne n’a protégée »

Accusé par l’actrice de lui avoir fait subir des agressions sexuelles entre ses 12 et ses 15 ans, le réalisateur était jugé au tribunal correctionnel ces 9 et 10 décembre. Un procès sous haute tension qui n’a pas permis de rectifier les incohérences du prévenu. Cinq ans de prison dont deux ans ferme aménageables ont été requis.
Par Salomé Dionisi
À l’instar d’Utopia 56, la criminalisation de l’aide aux personnes exilées s’accentue
Solidarité 10 décembre 2024

À l’instar d’Utopia 56, la criminalisation de l’aide aux personnes exilées s’accentue

Alors que l’association d’aide aux personnes réfugiées est visée par trois enquêtes pénales portant sur ses actions à la frontière franco-britannique, deux rapports alertent sur la volonté de criminaliser les associations d’aides aux personnes exilées et leurs bénévoles.
Par Élise Leclercq
Réfugiés syriens : des pays européens suspendent les demandes d’asile
Asile 9 décembre 2024 abonné·es

Réfugiés syriens : des pays européens suspendent les demandes d’asile

Après la chute du régime de Bachar al-Assad, l’incertitude de la situation en Syrie pousse plusieurs pays européens, dont la France, à suspendre les dossiers des réfugiés syriens.
Par Maxime Sirvins
Quitter ou ne pas quitter X/Twitter ? Le dilemme des médias indépendants
Médias 9 décembre 2024 abonné·es

Quitter ou ne pas quitter X/Twitter ? Le dilemme des médias indépendants

Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, le réseau social renommé X divise les médias et plus particulièrement depuis la réélection de Donald Trump : rester pour informer ou abandonner une plateforme jugée toxique ? Un choix qui engage leur rôle face à la désinformation et à l’extrême droite.
Par Maxime Sirvins