Et pendant ce temps-là…
dans l’hebdo N° 1028 Acheter ce numéro
L’affirmation peut paraître déraisonnable, ou quelque peu… décalée. Plutôt que ce « ça bouge à gauche », claironné à la une de ce journal, on aurait mieux vu « ça magouille à gauche », ou « ça tripatouille ». C’est que, pour le commun des téléspectateurs, « la gauche », c’est le Parti socialiste. Lequel n’en finit pas de tourner en rond selon le plus vaudevillesque des scénarios. Nous avons dit la semaine dernière ce que nous pensions de cette situation, des enjeux qui, malgré tout, se profilent derrière le ridicule. Mais la gauche est aussi ailleurs, si tant est qu’elle soit encore là. Elle n’est pas exclusivement une notion de topographie parlementaire, née d’une séance à l’Assemblée un certain 28 août 1789. Elle a toujours été aussi dans la rue. Comme ces jours-ci aux côtés des postiers, des enseignants ou des personnels de l’audiovisuel public. Et partout où l’on réfléchit à d’autres politiques que celle – dramatique – de l’accompagnement des logiques libérales. Et, de ce point de vue, oui, « ça bouge » vite et fort. Peut-être parce que les effets de la crise sont là et qu’il faut y résister, et qu’un sentiment d’urgence habite tous ceux qui ne sauraient admettre que les salariés paient l’addition des frasques de la finance. Mais ça bouge aussi parce que beaucoup se posent en ce moment
– mais est-ce un hasard ? – la question de créer une nouvelle force politique. Voilà qu’en trois mois à peine tout aura changé dans cet espace que l’on nomme par facilité « la gauche de la gauche », mais qu’il faut peut-être tout simplement appeler « la gauche ».
Qu’on en juge. Fin janvier, c’est la vieille Ligue communiste révolutionnaire, née en 1968, qui aura vécu. Son héritage sera repris et transformé
– c’est du moins le vœu d’Olivier Besancenot et de ses camarades – avec la création du Nouveau Parti anticapitaliste. Célèbre déjà avant d’exister. Et avant même d’avoir un nom ! L’un des défis qu’il se donne et qui n’est pas le moins passionnant : offrir une organisation politique à des jeunes jusque-là rebutés par les formes anciennes, ou tout simplement indifférents à un monde qui leur semble étranger. Autre échéance, début février, le premier congrès du Parti de gauche. Et, dès cette fin de semaine, le premier grand rendez-vous du tout nouveau parti de Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez, qui tient meeting à Saint-Ouen. Ce « PG » est un événement rare dans notre paysage politique : il est la conséquence d’une rupture d’avec le Parti socialiste. On découvrira dans l’entretien que nous a accordé Jean-Luc Mélenchon quelques surprises qui témoignent d’un réel esprit d’ouverture sur des questions que l’on pouvait craindre parfois enterrées sous le « logiciel » républicain. Autre échéance encore, la perspective toute proche d’une fédération associant les Communistes unitaires (voir là aussi notre entretien avec Gilles Alfonsi), les Alternatifs, héritiers du PSU, et les Collectifs antilibéraux issus de la campagne de 2005 contre le traité constitutionnel européen. En attendant, les Collectifs tiennent leur coordination nationale ce week-end à Montpellier.
Pour la fédération, la date n’est pas encore arrêtée, mais les dés sont jetés. Restent deux inconnues : l’évolution de la gauche des Verts et celle du PCF, dont le congrès se tient à la mi-décembre. Mais, dans tous les cas, des mouvements sont encore à attendre. Et à espérer. Si bien que l’on peut dire qu’en quelques mois tout ce champ politique aura été recomposé. Et tous ses acteurs auront renoué un dialogue indispensable. Qui donc pourrait nier que « ça bouge à gauche » ? Soit. Mais rien n’est dit cependant de ce qui va advenir. Il y a là des familles de pensée, des cultures, des formes et des traditions politiques si différentes, et qui, naturellement, se dotent de formes d’organisation qui leur correspondent. La grande question, nous le savons, est l’aptitude de chacun de ces ensembles à travailler avec les autres ; à penser peut-être des formes d’organisation communes ; à accepter – surtout – de débattre des points apparemment les moins discutables de leurs doctrines. La question de la décroissance, celle d’une citoyenneté rénovée qui repenserait notre rapport aux étrangers et aux immigrés, celle du nucléaire… Pour ne citer que quelques exemples. C’est à ce travail de fond que nous nous efforçons de contribuer avec l’Appel de Politis . Beaucoup encore est à faire. Voilà donc le double impératif : se rassembler sans attendre face à la crise, et débattre de ce qui fait divergence et différences, sans jamais que cela divise. À chacun ensuite de décider où il met l’accent dans son discours : sur ce qui réunit, ou sur ce qui oppose. Ou bien le nouveau champ politique, à peine redessiné, va se balkaniser. Ou bien chacun fera les concessions nécessaires pour permettre l’éclosion d’une nouvelle force de gauche qui comptera. Les élections européennes du mois de juin prochain auront à cet égard un double enjeu : faire élire des députés de la gauche antilibérale ; mais aussi créer une nouvelle dynamique.
Et, pendant ce temps-là, les socialistes « récolent ».
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.