Élections européennes, parti socialiste : mensonges et omissions
Le PS, qui a donné le coup d’envoi de sa campagne à Toulouse, s’échine à repeindre en rose une social-démocratie européenne qui a renoncé à transformer le monde.
dans l’hebdo N° 1050 Acheter ce numéro
À gauche toute ! Sous le patronage de Jean Jaurès, dont on fête cette année le cent-cinquantième anniversaire de la naissance, Martine Aubry a donné, à Toulouse, le 24 avril, le coup d’envoi de la campagne du Parti socialiste pour les élections européennes. « Il nous faut construire une Europe nouvelle, un peu moins sauvage » , a lancé la Première secrétaire du PS en reprenant les termes du dernier article du député de Carmaux.
À gauche toute encore ! Les socialistes redescendent dans la rue. Pas question pour eux de regarder passer les défilés du 1er mai cette année, alors que les syndicats, pour une fois unis, battront le pavé d’un même pas. Depuis un mois, les militants ont reçu leur ordre de mobilisation. Le PS veut « son » cortège. À Paris, où celui-ci devrait être le plus important, Martine Aubry défilera en compagnie de Bertrand Delanoë et de… Ségolène Royal. Laquelle avouait récemment ne pas se souvenir avoir jamais participé à une manifestation pour la Fête du travail. À en juger par le tract national édité pour l’occasion, il s’agit d’ailleurs moins d’une manifestation que d’une « marche » pour dire « Sarkozy-Barroso stop ! »
« Les Français ne veulent plus de cette Europe-là » , ils rejettent « l’Europe de la droite » , assure Martine Aubry. Un discours rodé à Toulouse où, entourée du gratin de la social-démocratie européenne, elle a assuré que le bilan actuel est celui de la droite, de « ceux qui ont préféré l’économie derrière la finance, ceux qui ont accepté la précarisation, ceux qui nous ont fait croire que les services publics qui étaient des protections gênaient l’initiative, ceux qui préfèrent l’autoritarisme dans la société et l’atlantisme comme politique étrangère » . « C’est leur bilan, ce n’est pas le nôtre » , a-t-elle martelé.
Le contraste avec la vulgate professée par la direction socialiste depuis son ralliement au traité constitutionnel européen en 2004 est saisissant. « Quand nos engagements européens sont en cause, il n’y a plus de clivages politiques qui demeurent » , déclarait encore François Hollande, le 21 octobre, sur RTL. Mais à six semaines du scrutin, le clivage droite-gauche ressurgit. Simple, tranché, il oppose les tenants « d’une Europe nouvelle, un peu moins sauvage » , aux dirigeants de « l’Europe actuelle » , assure la patronne du PS. Les socialistes et les sociaux-démocrates, qui « n’ont jamais été aussi unis » pour mener ce combat, aux conservateurs et aux libéraux ; les « partis frères » du PS aux amis de Nicolas Sarkozy et de l’UMP ; le Parti socialiste européen (PSE) au Parti populaire européen (PPE)… Évolution sincère ou manœuvre électorale ?
Ce choc titanesque entre les deux plus gros groupes du Parlement européen peut « changer le cours de l’Europe en changeant la majorité au Parlement » , garantit la maire de Lille en dramatisant l’enjeu. « Si le 7 juin la majorité reste la même, prévient-elle, c’est la santé qu’il faudra payer ou alors ne pas se faire soigner ; c’est l’âge de la retraite qu’il faudra toujours repousser ; c’est la Sécurité sociale dont on se demande si elle ne coûte pas trop chère ; c’est les emplois qui seront fragilisés… »
Les campagnes électorales s’accommodent mal d’une pensée nuancée. Et Martine Aubry n’y fait pas exception. À Toulouse, elle a multiplié les petits mensonges et les grandes omissions pour repeindre en rose une social-démocratie européenne qui a depuis longtemps renoncé à transformer le monde.
S’il est vrai que le Parti populaire européen (PPE) forme le premier groupe au Parlement européen, s’il est non moins exact que le président de la Commission européenne, le très libéral et conservateur José Manuel Barroso, appartient à cette famille politique, le bilan de l’Europe actuelle est celui d’une cogestion entre les deux principaux partis européens avec l’appui des Libéraux démocrates européens (ELDR), le troisième groupe à Strasbourg, au sein duquel siègent les élus du MoDem.
Cogestion au Parlement européen où, faute d’avoir la majorité à lui seul, le PPE a besoin de l’appoint du PSE. Selon des estimations sérieuses, quatre textes sur cinq y sont votés en commun par le PSE et la droite. C’est ainsi que toutes les directives de libéralisation ont été adoptées avec l’appui total ou partiel du PSE. Rail, poste, électricité, gaz… La liste est longue. Et cette convergence de vue, justifiée au nom de la nécessaire recherche de compromis, se poursuit. Elle n’est d’ailleurs pas l’apanage des seuls travaillistes, comme voudrait le faire croire un préjugé très répandu. Incontournable spécialiste des transports au PS, l’eurodéputé Gilles Savary s’excusait ainsi, le 22 avril, dans l’hémicycle strasbourgeois, de ne pouvoir totalement supprimer tous les obstacles à la libre prestation de services dans le transport routier : « Oui, nous voulons le marché intérieur, mais l’opinion publique et les chefs d’entreprise ne comprennent pas que le marché intérieur soit parfois l’obligation du suicide pour certains d’entre eux, de la régression économique ou du chômage. »
Cogestion au sein de la Commission aussi. Cible principale de la campagne électorale du PS, José Manuel Barroso a reçu le soutien des chefs de gouvernement, socialistes et travailliste, espagnol, portugais et britannique pour un second mandat. En 2004, sa Commission avait été investie au Parlement européen par la droite et le PSE. Six de ses membres, et non des moindres, appartiennent à des formations politiques issues du PSE. Vice-président de la Commission, membre du SPD allemand, Günter Verheugen est chargé des entreprises et de l’industrie. Vice-présidente également, membre du SAP, le parti social-démocrate suédois, Margot Wallström est chargée des institutions. Membre du Labour Party, Catherine Ashton, qui a succédé à un autre travailliste, Peter Mandelson, à la tête du commerce international, représente l’UE dans les négociations internationales, notamment à l’OMC, où elle n’a de cesse d’imposer le libre-échange en tous domaines. Membre du PSOE espagnol, Joaquim Almunia, commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, traque avec une orthodoxie libérale inébranlable les déficits, défend le Pacte de stabilité et l’indépendance de la banque centrale. Membre du parti social-démocrate tchèque CSSD, Vladimir Spidla est chargé de l’emploi et des affaires sociales ; si son bilan social est inexistant, on lui doit la directive sur le temps de travail – bloquée pour l’instant – qui portait à 65 heures la durée maximale autorisée. Enfin, Laszlo Kovacs, membre du parti social-démocrate hongrois MSZP, a en charge la fiscalité et l’union douanière, deux domaines où l’UE se distingue par son inaction contre le dumping fiscal et son impuissance douanière.
Seuls des électeurs mal informés peuvent croire que le bilan de l’Europe actuelle est uniquement « celui de la droite » . Difficile aussi d’avaler l’idée que les socialistes européens ne repousseraient pas l’âge de la retraite quand, au gouvernement, la plupart d’entre eux l’ont déjà porté au-delà de ce que François Fillon et Nicolas Sarkozy ont pu faire.
Enfin, il est pour le moins erroné de prétendre que l’atlantisme serait l’apanage de la droite européenne. Le 26 mars dernier, le PSE, dont les socialistes français, mais aussi les Verts ont voté avec la droite une résolution qui prône un rapprochement systématique de l’UE et des États-Unis dans de nombreux secteurs, dont la politique étrangère et la défense. Cette résolution non seulement « souligne l’importance de l’Otan en tant que pierre angulaire de la sécurité transatlantique », mais appelle aussi à accélérer la réalisation d’un « marché transatlantique unifié d’ici à 2015 ». Un projet soigneusement caché aux électeurs, initié pourtant en 2006 avec le rapport d’Erika Mann, une eurodéputée SPD.