Inégaux face à la grippe
Apparu en avril au Mexique, le virus H1N1 a déjà fait 2 200 morts dans 177 pays. S’il est susceptible de toucher tout le monde, les habitants des pays pauvres sont les plus menacés. Il est donc impératif que les pays occidentaux appliquent une véritable solidarité internationale.
dans l’hebdo N° 1066 Acheter ce numéro
Quatorze millions de morts chaque année. « Les maladies infectieuses demeurent la première cause de mortalité dans le monde – et d’abord dans le tiers monde » , rappelle Patrick Zylberman dans Des épidémies et des hommes (La Martinière). Certes, la médecine a progressé. Mais la propagation du sida et l’apparition de germes pharmaco-résistants ont fait exploser l’optimisme médical. « Au début du XXIe siècle, le moral est en berne. On évoque un retour aux vieilles méthodes : quarantaines et sanatorium », poursuit cet historien de la médecine. « Le risque épidémique fait fantasmer, renchérit Bruno Guérin, médecin à l’hôpital de Rodez. On garde en tête des images du type peste et choléra, et on réagit de manière violente. Cela paraît justifié face à l’histoire, et les sociétés occidentales ne sont plus prêtes à perdre 10 % de leur population dans une épidémie. »
Espagnole, russe, asiatique, « de Honk-Kong », aviaire, porcine… Au rang des maladies infectieuses, la grippe fait des ravages. La plus meurtrière, en 1918, aurait tué cinquante à cent millions de personnes. Mais c’était avant la mondialisation, l’explosion des villes et des déplacements. La grippe a cette particularité qu’elle touche a priori tout le monde, y compris les Occidentaux, les bien-portants et les jeunes. Avec 2 200 morts dans 177 pays, le virus H1N1 apparu en avril au Mexique serait devenu le virus de grippe dominant sur la planète, a indiqué le 28 août l’Organisation mondiale de la santé, qui l’avait déclaré « première pandémie du XXIe siècle » le 11 juin. Alors, tous égaux devant la grippe ? Loin de là. Si nous sommes tous concernés par une éventuelle contamination, nous ne serons pas tous touchés de la même manière. Ni soignés de la même façon.
« Comme la grippe aviaire, qui a beaucoup tué en Indonésie, et le Sras, né en Chine, H1N1 est d’abord une maladie de pauvres, analyse Jean-Claude Ameisen, professeur d’immunologie, sur le site de l’Espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Les conditions de vie, de travail avec les animaux, d’hygiène et de santé dans les pays du Sud font que la probabilité y est la plus grande de voir surgir des infections qui touchent ces pays avant de se propager partout. » Or, les stocks de médicaments sont réunis dans les pays du Nord et non là où les épidémies commencent. Si ces pays donnaient 10 % de leurs traitements à l’OMS pour les pays pauvres, cela ralentirait la propagation des virus et laisserait le temps de produire un vaccin. Celui contre la grippe A a été préparé dans l’urgence par quatre industriels, dont un Français (voir p. 19).
94 millions de doses en deux injections pour un milliard d’euros, la campagne de vaccination devrait débuter à la mi-octobre en France. 90 % des vaccins en production ont été achetés par anticipation par les pays riches, mais 96 % des décès dus à la pandémie devraient se produire dans les pays en voie de développement, d’après la Fondation Bill-Gates. C’est ce que la Fédération de la Croix-Rouge internationale appelle la « fracture épidémique » . « Nous avons des obligations internationales en matière de santé ! » , martèle l’épidémiologiste et membre du haut-conseil de la Santé publique Yves Charpak, anciennement conseiller à l’OMS et directeur des affaires internationales de l’Institut Pasteur.
En effet, le 23 mai 2005, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté un Règlement sanitaire international définissant le rôle de l’OMS et des 192 États membres dans la détection précoce des événements pouvant entraîner des situations d’urgences de santé publique de portée internationale, y compris les maladies émergentes. Qu’en est-il de l’application de cette loi ? « La médecine qu’on sait faire est trop chère par rapport à ce que les pays occidentaux acceptent de prendre en charge » , déplore Bruno Guérin. « C’est une idée lente à émerger, mais le meilleur moyen que nous avons de nous protéger, c’est avant tout de protéger les plus exposés » , défend Jean-Claude Ameisen. Y compris dans nos pays, où les précaires sont les plus vulnérables. En France, les services publics ont anticipé la pandémie, hôpitaux en tête. Mais, d’une part, ceux-ci risquent d’être dépassés dans le cas d’un afflux massif de patients. D’autre part, l’une des premières réactions d’une société pour limiter la contagion consiste à relâcher le lien social et à isoler les personnes infectées. Au risque d’accroître l’exclusion. Comment penser la prévention dans les lieux tels qu’hôpitaux, prisons, institutions ? « Et comment ne pas abandonner ceux qui étaient déjà à la limite de l’abandon ? » , interpelle Jean-Claude Ameisen. Qui prévient : « Les approches les plus humaines se révèlent souvent les plus efficaces, la solidarité n’est pas seulement un impératif éthique, c’est aussi la meilleure protection globale. »