Les derniers socialistes ?

Le courant de Benoît Hamon et d’Henri Emmanuelli, qui tenait le week-end dernier son université de rentrée dans les Landes, veut « parler fort » et ne plus « baisser la tête ».

Michel Soudais  • 1 octobre 2009 abonné·es
Les derniers socialistes ?

À défaut d’attirer les journalistes, l’université d’été de rentrée du courant de Benoît Hamon et d’Henri Emmanuelli a fait le plein de militants. Avec un bon millier d’inscrits sur les trois jours et le renfort de cinq cents locaux venus assister dimanche matin au meeting de clôture, il y avait, le week-end dernier au Vieux-Boucau (Landes), a souligné Benoît Hamon, « plus de participants qu’à Marseille » , où Vincent Peillon avait réuni fin août Daniel Cohn-Bendit, Marielle de Sarnez et Robert Hue (Politis n° 1065), et « autant qu’à Montpellier » , où, une semaine auparavant, Ségolène Royal organisait sa seconde fête de la Fraternité (Politis n° 1069). Un succès qui n’a pas dissuadé les principaux médias de bouder l’événement.

À leur décharge, les sujets débattus cadraient mal avec la mise en scène politique médiatique centrée sur quelques figures réputées présidentiables et les rivalités de personnes. Ou la préférence affichée des journaux à gros tirage et des radios pour tous ceux qui « brisent les tabous » , selon l’expression réservée à tous les Éric Besson en puissance. Dans cet univers, les socialistes d’« Un monde d’avance » – c’est le nom de leur courant – constituent un monde à part. Un monde où se retrouvent d’«  indécrottables archaïques » , comme les qualifient Laurent Joffrin ou Denis Olivennes, capables d’ouvrir leur soirée dansante sur « Changer la vie », l’hymne du PS de la fin des années 1970 composé par Mikis Théodorakis. Ce qui constituerait une preuve suffisante de leur passéisme s’ils n’étaient en outre amateurs de chants révolutionnaires, du « Chiffon rouge » à « la Jeune Garde » en passant par « l’Appel du grand Lénine », au point de les entonner en chœur au beau milieu de leur banquet. Sans oublier « l’Internationale » des fins de réunion.

À l’arrivée au Vieux-Boucau, le week-end dernier, le contraste avec La Rochelle était saisissant. Un public jeune, souvent membre de l’Unef ou du MJS, moins de notables, pas de petites phrases mais des échanges et des interpellations argumentées. Et surtout des interventions qui tranchent avec le ronron solferinesque. « La nationalisation d’un certain nombre de secteurs doit redevenir le cœur du projet socialiste » , lance Stéphane ­Delpeyrat, vice-président de la région Aquitaine, lors d’une table ronde dont l’intitulé, « La propriété contre le progrès » , est déjà tout un programme. Plus tard, c’est une députée européenne, Françoise Castex, qui regrette l’abandon de « la notion de monopole public » , sans laquelle « il n’y a pas de péréquation tarifaire » . Paul Jorion, sociologue et anthropologue des universités anglo-saxonnes, se taille un franc succès en expliquant qu’il ne faut jamais croire à la compétence des banquiers, milieu dans lequel il a travaillé ces vingt dernières années.
Au fil des prises de parole, les militants étalent leur ressentiment à l’égard de dirigeants « frileux » , incapables de « se mouiller avec nos amis » dans les forums sociaux européens ou mondiaux. Responsables d’avoir « abandonné nos idéaux depuis trente ans », mais aussi des mots, que pointe Marie-Noëlle Lienemann : émancipation, aliénation… « On n’entend plus le mot socialisme, poursuit-elle. On lui préfère la social-démocratie, alors que nous n’avons jamais été sociaux-démocrates. » Puis ils applaudissent l’orateur qui confie avoir « mal vécu la révision de la déclaration de ­principes » et «  le ralliement du PS à l’économie de marché ».

Ressentiment également à l’égard du Parti des socialistes européens. La réélection de Barroso est « restée en travers de la gorge » de beaucoup. Pour Stéphane Delpeyrat, qui n’a pas compris comment le président du groupe des socialistes et démocrates du Parlement européen a pu « appeler à l’abstention dans un vote aussi important », « la coupe est pleine ». Le PS aurait dû prendre ses distances avec le PSE. « Il y a des moments où il faut être capable de dire non » , complète Aquilino Morelle, l’ancienne « plume » de Lionel Jospin à Matignon.
Non sans audace, les organisateurs avaient aussi invité le NPA, indésirable à La Rochelle, à participer à une table ronde sur le thème de la répartition des riches. Pierre-François Grond, de la direction du NPA, y côtoyait le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, le maire MRC de Belfort, Étienne Butzbach, Christian Picquet, de la Gauche unitaire, et le Vert Daniel Hegoburu pour un débat sur la répartition des richesses, animé par Benoît Hamon. Les animateurs d’Un monde d’avance, convaincus, comme l’avait expliqué un peu plus tôt l’économiste Liêm Hoang Ngoc, que « la crise n’est pas seulement financière mais est aussi une crise de la répartition des revenus », voulait y vérifier que sur un « sujet susceptible de structurer un contrat de gouvernement de gauche » des convergences étaient possibles. Peu de discordances tant sur l’état des lieux que sur les propositions à mettre en œuvre sont apparues. Benoît Hamon en conclut, un peu vite (voir entretien), à la possibilité de rassembler toute la gauche. Reste que l’intention est là, confirmée par Henri Emmanuelli, qui a indiqué en clôture que la « responsabilité particulière » de son courant était de « continuer à prendre des initiatives » de cette nature « pour faire la ­démonstration » qu’il n’existe « pas de ­clivage insurmontable » à gauche.

Cette idée, largement admise, est ici rejetée. Christian Picquet a d’ailleurs essuyé quelques sifflets pour avoir dit : « Malgré les combats courageux que vous pouvez mener, le PS est en train à son tour de s’engager sur la voie d’une dérive accélérée qui l’amène effectivement à ne plus concevoir son avenir que dans l’alliance avec François Bayrou. » « Personne ne croit que le PS est déjà dans les bras du MoDem, sinon on n’existe plus », s’emporte Gérard Filoche. Un sentiment totalement partagé, y compris par ceux qui après avoir été proches de Jean-Luc Mélenchon ont refusé de le suivre, persuadés qu’il est encore possible d’influer sur l’orientation du PS.
Eux mettent volontiers en avant leur influence dans un parti où, parce que la proportionnelle y est encore appliquée, leur courant, fort de ses 18,5 % au congrès de Reims et de sa participation à la majorité de Martine Aubry, s’est vu confier le porte-parolat du parti (Benoît Hamon), compte plusieurs secrétaires nationaux, et dirige 15 fédérations. En aparté, nombreux sont ceux qui reconnaissent que cette appartenance à la majorité est un funambulisme de tous les instants. Sur quels sujets, par exemple, faire entendre sa différence et marquer des clivages sans mettre en difficulté Martine Aubry, dont la majorité est fragile ?

Aussi, quand Benoît Hamon annonce qu’il est « fini le temps où [ils] baissaient la tête » et qu’ils iraient « combattre [leurs] a dversaires politiques partout là où ils sont », ses propos sont perçus comme l’annonce d’une libération de la parole.

Pas encore lassés de lutter pied à pied contre les pesanteurs et les timidités du PS, la dépolitisation de leurs camarades de section gagnés par l’idéologie dominante, les militants d’Un monde d’avance reconnaissent aisément qu’une partie des socialistes sont tentés par un changement d’alliance avec le MoDem. Mais s’ils ont parfois l’impression d’être, comme ils s’en amusent, « les derniers des Mohicans » , ils veulent néanmoins se convaincre que le pire n’est jamais sûr. « Je comprends que Jean-Luc Mélenchon qui a mené ce combat pendant trente ans ait fini par se lasser, nous confiait un jeune secrétaire national, je demande juste qu’on me laisse encore y croire trois ans ».

Politique
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