Ce qui a changé…
dans l’hebdo N° 1095 Acheter ce numéro
Le mot est trivial, mais il est efficace. À un ami qui lui demandait pourquoi il intégrait un adversaire politique au gouvernement, Clemenceau fit cette réponse : « Je préfère qu’il soit dedans et pisse dehors plutôt que dehors et pisse dedans. » En procédant à son mini-remaniement, Nicolas Sarkozy a-t-il songé à la célèbre formule du Tigre ? Toujours est-il qu’en nommant le chiraquien François Baroin au Budget et le villepiniste Georges Tron à la Fonction publique, il a surtout voulu neutraliser la dissidence au sein de sa majorité. La comparaison avec Clemenceau s’arrête là. Mais le message est terrible : au lendemain d’un scrutin débordant de sens politique et social, le président de la République répond par une basse manœuvre marquée par la seule obsession de sa réélection en 2012.
C’est assez dire qu’il n’entend pas renoncer à ses « réformes ». Ses choreutes l’ont d’ailleurs répété dimanche soir à la télévision, avec un mimétisme de petits soldats terrorisés par le chef. Comment pourrait-il en être autrement ? Le « sarkozysme » est un sport de combat. Sarkozy n’est peut-être pas plus réactionnaire socialement que son prédécesseur à l’Élysée, ni plus libéral en économie, mais il ne lâche rien. Et à la différence de Chirac, il ne veut pas devenir un roi fainéant admettant qu’il n’a plus les moyens de sa politique. Il tentera donc d’aller au bout de l’affrontement social. C’est en ce sens que l’on peut dire que rien n’a changé depuis dimanche. Institutionnellement, Nicolas Sarkozy peut continuer d’attaquer les services publics, d’aggraver l’injustice, et de ruiner les acquis sociaux.
En avant donc pour la bataille des retraites. L’objectif est connu : briser la digue des 60 ans. Sachant que différer l’âge légal du départ à la retraite dans un contexte de sous-emploi et de chômage aura pour conséquence l’abaissement des pensions. Et cela dans une telle proportion que le climat sera évidemment de plus en plus favorable aux assurances complémentaires privées. Nicolas Sarkozy veut nous conduire là où il jure qu’il ne veut pas aller. Mais si rien n’a changé institutionnellement depuis dimanche, tout a changé politiquement et psychologiquement. Les dynamiques se sont inversées. Le rapport de force est transformé. Et la gauche se trouve de nouveau dans une relative position de force. On avait perdu l’habitude de lui demander quoi que ce soit. Le sarkozysme triomphant avait au moins cette vertu : il cachait la misère idéologique du Parti socialiste. On va de nouveau se tourner vers lui, et vers toute la gauche. C’est elle qui a la main. C’est d’elle dont on attend projets et alternatives, et stratégie de reconquête. Et l’affaire des retraites constituera à cet égard un sacré test. Or, avouons-le, on est loin d’être rassurés. Pourquoi ? Parce qu’on pressent que la position du Parti socialiste n’est pas très éloignée de celle de l’UMP. Les critiques portent plus sur la méthode que sur le fond.
Les propos de Daniel Cohn-Bendit ne sont guère plus rassurants. On peut, comme lui, rêver d’un système « à la carte », modulant les solutions, assurant une retraite progressive selon le désir de chacun, et la pénibilité du travail. Hélas, jouer à ce jeu avec le gouvernement de Nicolas Sarkozy est plus que dangereux. De bons projets peuvent certes être élaborés pour l’avenir, mais on ne demande aujourd’hui à la gauche qu’une seule chose : faire barrage au projet de la droite. Montrer son injustice par des arguments clairs, et aider le mouvement social à mobiliser. Derrière cet impératif, apparaît évidemment en filigrane la question de la perspective politique. Plus tôt les choses seront claires dans toutes les composantes de la gauche, et mieux ce sera. Et là aussi un vieux fond de scepticisme nous envahit. Certes, il ne sert à rien de jouer les Cassandre. Mais quand on voit la hâte avec laquelle Ségolène Royal a pris la parole dimanche soir, on a tout lieu d’être inquiet.
Le sarkozysme est affaibli. Mais la gauche n’a pour l’instant remporté qu’une victoire en trompe-l’œil. On a grandement tort d’établir un parallèle avec les législatives de 1981. Certes, en pourcentage, le score est le même (un peu plus de 54 % des voix), mais il y avait 29,6 % d’abstention ; il y en a 48,3 % cette fois. Et l’extrême droite représentait 0,35 % des suffrages. Avec près de 10 %, le Front national fait aujourd’hui peser sur l’avenir politique du pays une double hypothèque, électorale et morale. Cette extrême droite ne disparaîtra qu’avec la résolution d’un certain nombre de problèmes sociaux. En attendant, elle peut jouer avec ou contre l’UMP, selon l’offre qui lui est faite. Le « sarkozysme » vient de prouver qu’il pouvait séduire ou décevoir une partie de cet électorat sans jamais le « dissoudre ». C’est en quoi les statistiques électorales sont fragiles. Et c’est en quoi les défaites des uns ne font pas obligatoirement les victoires des autres. Et il en sera ainsi tant qu’une gauche sociale et écologique n’affichera pas une offre crédible, autant dans le contenu que dans la procédure de conquête du pouvoir.
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Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.